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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/897

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pratiques est indéniable : elle est reconnue, proclamée par tous les éducateurs anglais sans exception[1]. Prenez deux écoles dans la même ville, à Manchester par exemple, toutes deux écoles d’ex ternes s’adressant à la même clientèle. L’une, située dans l’intérieur de la ville, n’a point de champ de cricket ou de football ; l’autre, située hors de la ville, possède tout l’espace nécessaire. Le « ton » est bien meilleur dans la seconde, où l’on joue, que dans la première, où l’on ne peut pas jouer : le fait même que les enfans s’associent, s’organisent, se disciplinent par les jeux et pour les jeux, relève singulièrement le niveau moral, la tenue d’une école.


Nous avons eu, en France, l’amour des jeux de plein air ; il paraît même, à certains symptômes rassurans, nous être revenu. Mais il faut en prendre le goût réfléchi : c’est toute une éducation à refaire, si nous voulons tirer des jeux de plein air le merveilleux parti qu’en ont su tirer nos voisins. Il semble même, à les entendre, — et ce sont de bons juges, — que les dispositions ne nous manquent pas pour réussir : « Dans leur première enfance, dit un Anglais, les petits Français ont l’art de savoir s’amuser. C’est un délice de suivre leurs mouvemens dans les jardins publics de Paris, ou bien au bord de la mer. Un bébé français, qui commence à peine à courir et à gambader, est un spectacle incomparable, qui remplit les pères et mères anglais d’admiration et de désespoir[2]. » Mais, bien vite, les parens se mettent en travers des jeux : ils craignent que, dans leurs évolutions trop libres et leurs ébats trop joyeux, les enfans ne s’égratignent un peu ou ne fripent leurs beaux vêtemens[3]. Le moyen d’inaugurer des jeux, qui ne vont jamais sans quelques risques, quand les mères tremblent au moindre bond de leurs jeunes faons ! Les éducateurs français le savent trop bien : ils redoutent les effets des craintes maternelles, les reproches, les scènes, et ils s’abstiennent prudemment[4]. « Je n’ai jamais remarqué, a dit un Anglais, que les jeunes Français fussent naturellement timides (sauf dans la

  1. Parlant de Charles Kingsley, l’auteur de Westward-Ho ! et de son « Christianisme musculaire », Emile Montégut dit :
    « Ses vrais héros sont tous musculeux et honnêtes, et ils sont honnêtes parce qu’ils sont musculeux. Il pense… que l’éducation physique est la base véritable de l’éducation morale, et que tout ce qui fortifie le corps, fortifie en même temps l’esprit. »
  2. The Times. Leading article, 23 avril 1892.
  3. Il n’y a pas longtemps encore que l’on défendait aux enfans de jouer sur les pelouses des jardins publics, des parcs, comme au lycée Michelet ; les promenades publiques sont, en France, parées, comme trop souvent les enfans sont habillés pour la montre.
  4. La terreur des mères françaises pénètre jusqu’au régiment ; elle paralyse même des officiers de cavalerie. J’ai vu, pendant mon volontariat, un capitaine instructeur qui n’osait pas faire galoper nos précieuses personnes à travers champs, de peur des chutes et des « réclamations des familles » !