Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/924

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et galante, les traditions nationales ne suffisent bientôt, plus. Le XIIe et le XIIIe siècle empruntent, de toutes mains, des sujets nouveaux : légendes bretonnes, légendes gréco-romaines.

Le cycle breton est celui que la Société des Anciens Textes a le plus négligé jusqu’ici et celui, sans doute, qu’elle aurait dû le moins négliger. Elle n’en a publié que le seul roman de Merlin : c’est l’histoire de l’institution de la Table Monde, qui sert de transition entre la légende de Joseph d’Arimathie, à qui le Seigneur confia le saint Graal, et le roman de Perceval, qui raconte comment ce chevalier, ayant trouvé le vase mystérieux, mit lin aux merveilles de) Bretagne. Beaucoup d’autres œuvres du même cycle, encore manuscrites ou mal éditées, auraient mérité la sollicitude de la Société bien mieux que tant de textes, d’une insignifiance évidente, qu’elle n’a publiés que parce qu’ils permettaient aux éditeurs de manifester leur acribie philologique. Si l’on doit regretter que plusieurs des plus importantes publications des dix dernières années aient été faites en dehors de la Société, — je cite, en passant, les poésies de Rutebeuf, le Roman de Renart, le Dialogue de Grégoire le Pape, — il est surtout déplorable quelle ait comme abandonné à des étrangers la « matière ; de Bretagne » ; il est déplorable que ces deux excellens poètes français, Chrétien de Troyes, Marie de France, aient été publiés, d’ailleurs fort bien, par des Allemands. Il n’est présentement aucun genre littéraire du moyen âge qui appelle plus de recherches que le cycle breton. Les études récentes de M. G. Paris dans l’Histoire littéraire de la France, de M. Alfred Nutt en son livre sur le Saint Graal, de M. H Zimmer sur Nennius, posent les questions plus souvent quelles ne les résolvent : questions plus obscures et plus enchevêtrées que les forêts où s’égarent les chevaliers errans, et dont les solutions entrevues s’évanouissent soudain, comme la lance sanglante ou le Graal, qui passent un instant dans les airs devant les yeux de Perceval, puis disparaissent. Par quelle série de transmissions des détritus de fables ethnogéniques et de légendes épiques relatives aux luttes des anciens Bretons du Ve siècle contre les envahisseurs germains se sont-elles transformées en ces contes français d’un idéalisme si maniéré, « si vains et si plaisons » ? Comment l’obscur héros Arthur, endormi dans l’île d’Avallon, et dont les Bretons espéraient le retour glorieux, est-il devenu le roi galant cher à nos poètes ? Ces légendes sont-elles armoricaines ou galloises ? Faut-il admettre qu’elles aient passé d’Angleterre en France par l’intermédiaire de conteurs anglo-normands ? Quelle est, dans les romans de la Table Bonde, la part de la tradition celtique et celle de l’invention française ? Est-il vrai que notre littérature soit redevable au génie celtique de ce sentimentalisme charmant, de ce tour