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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/926

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geste primitives, contes bretons, poèmes antiques. Les légendes nationales étaient trop héroïques pour eux, les légendes celtiques trop subtiles, les légendes antiques trop différentes. On se console encore de ce qu’ils aient défiguré Virgile et Stace, dont nous pouvons lire les œuvres originales : mais, à les voir transposer ainsi la Thébaïde et l’Enéide, on se prend à songer qu’ils ont pareillement affadi, mutilé, gâché les vieilles légendes épiques et les contes bretons : et cela est plus déplorable, car nous ne connaissons ces légendes et ces contes que par leurs travestissemens. Aussi peut-on se demander si le genre qui convenait le mieux au XIIIe siècle ne serait pas le roman d’aventure, dont la Société a publié de curieux spécimens : Guillaume de Palerne, Jehan et Blonde, la Manekine, Brun de la Montagne. Puisque ces poètes ne se proposaient que d’amuser, puisqu’ils ne voulaient et ne pouvaient peindre qu’eux-mêmes, leur courtoisie, leur esprit chevaleresque ; puisqu’ils rimaient pour les tournois et les « chambres des dames », pour la comtesse Marie de Champagne, pour Jeanne de Flandre, pour Yolande de Hainaut, à quoi bon s’embarrasser de traditions antiques ou bretonnes, de toutes ces vieilles légendes incomprises ? Mieux leur valait la nouvelle byzantine, le tissu léger du conte populaire, l’histoire anodine de la fille aux mains coupées, les énigmes spirituelles de Jehan et Blonde, ou, comme dans Brun et Guillaume de Palerne, l’intrigue de féerie. Quand les héros se nomment Jehan et Blonde, Guillaume et Melior, on suit avec plaisir le récit de leurs amours aventureuses ; on écoule avec charme leurs fines discussions sentimentales ; mais on s’irrite, quand ces couples d’amoureux transis, tous semblables, s’appellent Achille et Briséis, Charlemagne et Galiene, Tristan et Yseult.

La courtoisie du XIIe et du XIIIe siècle, cette conception chevaleresque et galante de la vie, trouve son expression souveraine dans la poésie lyrique. De multiples genres aimables s’organisent dont un beau livre de M. Alfred Jeanroy a récemment décrit la germination : chanson d’amour, salut, d’amour, lai, pastourelle, débat, jeu parti ; les manoirs féodaux retentissent vraiment du son des vielles. Cette gracieuse floraison lyrique est représentée dans la collection des Anciens Textes par la reproduction phototypique d’un manuscrit précieux : le Chansonnier de Saint-Germain-des-Prés. Il faut se réjouir que la Société ait entrepris cette publication de luxe, si l’on doit y voir une preuve de sa prospérité matérielle. Les paléographes et les philologues y trouveront leur profit. Pourtant, il est une question que la transcription diplomatique de ce manuscrit n’aidera pas suffisamment à résoudre. Nous sommes déjà bien renseignés, en gros, sur l’ensemble de notre poésie lyrique courtoise ; nous savons déjà, à peu près