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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/954

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légitime. Seulement nous prétendons prouver qu’elle existe déjà dans notre système d’impôts, système que nous avouons trouver très supérieur, tout perfectible qu’il est encore, à celui de la plupart des nations du monde. Si l’on voulait du reste atteindre la progressivité idéale dans la répartition des charges publiques, il faudrait d’abord distinguer la nature des recettes privées que l’on frapperait, — feriez-vous payer un droit égal à tout possesseur de 10 000 francs de revenu, que ces 10 000 francs soient le fruit d’un pénible travail, sur lequel il faut épargner le pain de la vieillesse, ou simplement le produit de solides rentes ? — Il faudrait aussi tenir compte des charges de famille, puis qu’un célibataire qui jouit de 10 000 francs de rente est à son aise, tandis qu’avec la même somme un ménage possesseur de cinq ou six enfans n’est guère fortuné.

Parmi nos impôts directs, il en est un certain nombre, sur les chevaux et voitures, les cercles, les billards privés, qui ne frappent que la richesse ; on peut multiplier ce genre d’impôts somptuaires pour donner satisfaction aux aspirations démocratiques ou augmenter la quantité de ceux qui existent : — une taxe de 60 francs par voiture, à Paris, qui va s’abaissant jusque 10 francs dans les communes rurales, n’est pas excessive ; — on peut augmenter aussi les contributions indirectes ou les douanes qui frappent ces consommations de luxe que peuvent seuls se permettre les possesseurs d’un certain revenu, afin de dégrever d’autant les consommations populaires. Ce serait une autre forme encore de progressivité dans l’impôt ; aucun esprit généreux ne la trouvera mauvaise.

Le point important c’est la manière dont l’État doit demander aux riches cette subvention progressive, que déjà il obtient sous vingt formes diverses et qu’il peut encore exiger sous plusieurs autres. Nous ne croyons pas que l’on puisse appliquer l’impôt progressif général sans troubler le système de nos contributions directes. On ne peut l’appliquer ni aux valeurs mobilières, ni même aux biens fonciers, puisque les propriétaires dont les immeubles seraient répartis en plusieurs localités échapperaient aux taxes grossissantes, qui surchargeraient les détenteurs de terres sises dans une seule commune. Pour décréter un impôt directement progressif, il faudrait d’abord établir l’impôt sur le revenu.

Or l’impôt sur le revenu, nous le repoussons de toutes nos forces, non pas comme inapplicable — au contraire, c’est, de tous les impôts, celui qui semble le plus facile à percevoir, le plus simple en théorie. Aussi est-ce l’impôt rudimentaire, celui des sociétés primitives ; — c’était la « taille personnelle » sous l’ancien régime ; — mais, en pratique, c’est le plus détestable mode de collecte, dans un temps où l’aisance est presque un délit aux yeux de certaines gens, où la richesse en tous cas est un crime. L’impôt sur le revenu serait cependant le plus aisé à