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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/164

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son fondateur a fait une donation de 1 400 000 dollars, sept millions de francs, sans préjudice de la mission du même nom où se trouve une bibliothèque, un Kindergarten, un dispensaire, et où chaque dimanche 1 800 jeunes gens des deux sexes, dont beaucoup, sans cela, n’auraient pas de foyer, se réunissent pour apprendre ce que c’est que la vie spirituelle, la vie intellectuelle, la vie de famille, les amusemens honnêtes. M. Armour passe l’après-midi au milieu de ses enfans, de ceux qu’il appelle amicalement ses partners, ses associés. Et là aussi, derrière cette entreprise humanitaire colossale, comme les entreprises industrielles qui l’alimentent, il y a, paraît-il, une collaboration féminine.

Le jour où l’on me dit en me montrant un orgueilleux édifice de treize étages, — huit de moins seulement que le temple maçonnique : « Voilà le temple des femmes, the Women’s temple, » je ne fus nullement surprise ; il me parut tout naturel que dans la principale rue du quartier des affaires, au milieu du tumulte de la Bourse, de la Chambre de commerce, des compagnies d’assurances, etc., se dressât ce symbole public de vénération et de gratitude. On m’expliqua ensuite que le temple, ainsi nommé en abrégé, est celui de la tempérance, et qu’il a été érigé par les femmes. Sa construction a coûté plus d’un million de dollars, et c’est une femme qui a trouvé les fonds, une femme qui possède les aptitudes les plus rares chez son sexe, des aptitudes financières. Mrs M. B. Carse mit dix années à réaliser son plan et y réussit en s’assurant le concours d’une autre femme célèbre par l’élan qu’elle donne depuis une vingtaine d’années à l’Union de tempérance, miss Willard. Frances Willard a consacré sa vie à préconiser le système du gouvernement de soi-même ; elle dirige le mouvement de la Croix blanche, qui dans beaucoup d’États a obtenu des lois spéciales pour la protection de la femme. Antagoniste déclarée du mortel ennemi de l’Amérique, l’ivrognerie, elle l’attaque par toutes les armes qui lui tombent sous la main ; la société de tempérance enveloppe d’un réseau actif toutes les villes grandes et petites ; elle a élu son quartier général dans celle où le mal sévit de la façon la plus effrayante, et il paraît que l’œuvre philanthropique est, comme cela doit toujours être, selon l’opinion américaine, une bonne affaire en même temps, puisque le revenu annuel des bâtimens du temple est supposé devoir atteindre 250 000 francs.

Les membres de la société de tempérance sont liés par un serment qui les condamne aux boissons les plus fades. Chez eux on ne vous offre que de l’eau glacée, de la bière de gingembre, tout au plus du jus de raisin non fermenté, qui ressemble à de