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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/182

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science et la sûreté qu’on lui connaît, et, bien que la scène ne se prêtât guère, à cause de la monotonie noire et triste des paletots et des uniformes, à un développement coloriste d’un grand éclat, il a su lui donner de l’intérêt pittoresque, non seulement par la fermeté de l’exécution et l’habileté des groupemens sur le premier plan, mais aussi par les nuancemens justes et fins dans les fonds, où l’on voit les fumées de la maison en flamme monter entre les maisons d’un carrefour. Les mouvemens et les dégradations d’une lumière troublée et mourante y sont notés et rendus avec cette exactitude d’observation qui est la force de M. Détaille et le secret de ses progrès continus.

M. Gorguet, dont le grand public salue le nom pour la première fois, n’est point pour nous un inconnu. Nous avons, à plusieurs reprises, signalé ses études plastiques et ses petits portraits, d’une facture précise et délicate. Son Jardin des Hespérides, évidemment, n’est qu’une collection de portraits en pied, habilement groupés dans un milieu décoratif, suffisamment idéalisés pour que le charme qui s’en dégage appelle une réminiscence littéraire et poétique ; on pourrait parier, à coup sûr, que tous ces aimables visages de jeunes filles et d’enfans sont d’une ressemblance suffisante et que les originaux n’en sont pas loin. Le peintre d’ailleurs, afin qu’on ne s’y trompe point, n’a rien modifié aux toilettes du jour. Les deux jeunes filles, l’une en peignoir vert d’eau, large et flottant, l’autre en robe gris tendre, qui s’avancent sur la gauche, en balançant une banne remplie de « pommes d’or », sont vêtues simplement, mais à la mode. C’est le groupe le plus important et le plus remarqué. Une grâce naturelle et simple dans la démarche et le geste, une chasteté intelligente et heureuse dans la physionomie, une harmonie délicate, bien soutenue, finement assortie entre les colorations douces des visages, des vêtemens et des fonds, donnent, en effet, à ces figures cette distinction aimable qu’on admire chez les Florentines du XVe siècle, mais qu’on peut retrouver, comme tout ce qui est humain, chez des jeunes filles modernes. Que les promeneuses de M. Gorguet aient des sœurs aînées chez Botticelli et Filippino Lippi, cela saute aux yeux ; mais, à la différence de quelques-unes de leurs voisines, plus prétentieuses et moins bien élevées, ces patriciennes discrètes ne se targuent pas ouvertement de leur glorieux atavisme. M. Gorguet, en véritable artiste, s’est suffisamment pénétré des vieux maîtres pour regarder le monde avec leur âme autant qu’avec leurs yeux. Il a complété, dans le même esprit d’habile candeur, le reste de sa composition : le groupe des cinq jeunes femmes assises dans l’herbe, sur la droite, avec la fillette