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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/184

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des physionomies, dans la tenue harmonique des colorations, une recherche particulière de distinction. La plupart, par malheur, sont déjà si éteints et comme écrasés sous un voile de vapeurs ternes et sombres, qu’on peut redouter de les y voir disparaître avant peu de temps. Il suffit à M. Aman-Jean de soulever ce voile pour apparaître avec toutes ses qualités aux yeux de tout le monde : c’est ce qu’il a tenté de faire, cette année, avec ses deux portraits d’hommes, celui de M. Jules Case, le romancier, et celui de M. Dampt, le sculpteur. Ce n’est pas que l’analyse intelligente et sensible des modèles y soit peut-être poussée plus loin qu’en certains visages très bien vus de femmes environnantes ; seulement cette analyse s’y trouve mise en lumière par des moyens pittoresques plus francs et plus simples qui attristent et troublent moins la vue.

Il est intéressant de comparer aux portraits de M. Aman-Jean ceux de M. Alexander (de New-York), qui s’inspire aussi, dans sa technique, des maîtres fresquistes. M. Alexander n’a pas les mêmes hésitations : il va droit aux effets clairs, à la fraîcheur des carnations, des étoffes, des fonds de tentures ou de verdures, à la franchise juvénile et printanière des primitifs. Les portraits de ses deux confrères M. Thaulow, le Norvégien, et M. Pranichnikoff, le Russe, ont une vérité familière, joyeuse et mâle, d’expression vraiment intéressante. Une image, simple et grave, de jeune femme en robe grise, de profil (portrait no 18) montre, dans un autre ordre, ce que peut donner d’heureux cette façon de voir et de peindre. Le dessin est ferme et distingué ; le coup de brosse, à fleur d’une toile à gros grain, rapide et souple ; le coloris, délicat et un peu éteint, celui d’une tapisserie.

Néanmoins, au Champ de Mars, le portraitiste qui tient sans conteste le premier rang est toujours M. Dagnan-Bouveret. Ce n’est pas que ses toiles aient, au premier abord, l’éclat, la liberté, l’entrain qu’on peut admirer dans certains portraits, vivement brossés, de M. Carolus Duran (Le Poète à la mandoline. — Portraits de Mme C. B… et de Mlle C.) et de son école ; sa peinture est d’un aspect triste, parfois d’un labeur inquiet, minutieux, pénible ; mais la conscience extrême, la vieille conscience française, difficile, perspicace, bienveillante, avec laquelle il analyse et exprime le caractère intime de ses modèles, donne à tous ses portraits, même les moins brillans, une valeur sérieuse et durable. C’est d’ailleurs un esprit cultivé, très sensible, qui modifie l’aspect de ses toiles, suivant que la variété des physionomies modernes reporte ses souvenirs à la variété des maîtres dont il procède. La petite figure de M. René de Saint-Marceaux, le sculpteur, vive, nerveuse,