Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

œuvre d’observateur et c’est une œuvre de peintre : c’est donc excellent.

La Dernière heure de M. Bulfield n’est pas traitée avec la même vigueur de pinceau. L’artiste se tient dans les tons clairs et dans les frottis légers, mais la scène est présentée d’une âme émue et d’une main habile. Il s’agit d’un vieux paysan qui agonise sur son grabat et auquel un prêtre administre l’extrême-onction. Au pied du lit, d’un côté, une vieille femme, prosternée et sanglotante ; de l’autre, un enfant de chœur, agenouillé, lisant les prières et, par-dessus son livre, jetant à la dérobée un regard curieux et terrifié sur la face blanche du mourant. Le prêtre, debout, se présente presque de dos, cachant de son corps une veilleuse, posée sur un meuble, dont la lueur lui environne la tête comme d’une auréole. Tout cela est bien vu et senti, simplement émouvant, et si fortement pourtant que bon nombre de visiteurs, ceux qui ne cherchent dans la peinture qu’un amusement de l’œil, détournent la tête, trouvant cela trop triste. Comme si la tristesse n’était pas une grande part et la plus noble part de la vie, et comme si l’art ne devenait pas plus respectable et plus intéressant chaque fois qu’il s’élève jusqu’à la tristesse, c’est-à-dire jusqu’à l’intelligence complète, bienveillante et compatissante de l’humanité ! Non loin de là, une peinture française. Une âme à Dieu, par Mme Duhem, montre, d’ailleurs, que chez nous on sait aussi traiter en artiste les scènes lugubres. En plaçant au milieu d’un cercle de religieuses en robes blanches, sous une lueur douce de cierges, une de leurs mortes, une sœur vêtue de blanc allongée dans sa bière, Mme Duhem a naturellement pensé à la Mort de saint Bruno. Sa peinture, un peu molle et incertaine, n’est qu’une sorte de transposition contemporaine et féminine du chef-d’œuvre de Le Sueur, mais la transposition est délicate et sincèrement émue.

M. Forbes en représentant des ouvriers Forgeant une ancre n’a fait que reprendre un thème courant, très en faveur, depuis quelques années, chez les naturalistes de tous pays. Toutes les scènes de la vie d’ouvrier ne fournissent pas également d’heureux prétextes aux peintres pour développer à la fois leur science de la forme humaine, du mouvement, de la lumière, du pittoresque. Ces intérieurs de forges, où des hommes robustes, à demi vêtus ou presque nus, se livrent à des gesticulations violentes et nettes, dans un milieu enfumé où s’entre-croisent, en des heurts et rencontres compliqués, les lumières gaies ou tristes du dehors et les éclats violens des fourneaux, les attirent donc volontiers. La Forge de M. Menzel, la Forge de M. Kroyer ont, en leur temps, été justement admirées. Cette année, en de petits formats, nous avons deux