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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/195

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L’essentiel, en cet ordre de choses, c’est d’être sincère, et il nous semble que M. Henri Royer est sincère. Un autre jeune peintre, M. Cottet (au Champ de Mars), moins sûr encore de lui-même, mais d’un tempérament remarquable, nous attire par une apparence de sincérité plus vive encore. Ce que M. Henri Royer cherche par l’exacte définition des formes et par les délicatesses du modelé, M. Cottet le cherche par la vérité puissante des colorations et par la fermeté des masses. On avait déjà remarqué, l’an dernier, une de ses études, des barques à l’ancre sous les Rayons du soir. L’exécution était sommaire et brutale, mais d’une vigueur saisissante et d’une robuste harmonie. Cette année, deux études du même genre, la Sortie des barques de pêche au Camaret (Finistère) et la Nuit de lune dans le même port, montrent d’égales qualités de décision avec plus de souplesse dans le coup de brosse. Toutefois M. Cottet a d’autres ambitions que celles du simple paysagiste. Sa procession de paysannes au Pardon de Saint-Jean à Landaudec nous offre une dizaine de figures, de grandeur naturelle, auxquelles le paysage sert seulement décadré. Les gaucheries, les lourdeurs, les ignorances abondent sur cette grande toile, surtout dans les visages et dans les draperies. Le peintre, évidemment, tâtonne encore ; il n’est pas au fait de toutes les subtilités et roueries du métier, comme tel ou tel Parisien de ses voisins : il a beaucoup à apprendre ; mais on sent qu’il le sait, et qu’il cherche, et qu’il veut. Malgré toutes ces inexpériences, cette composition est saisissante par la tenue ferme et résolue de l’ensemble, par l’intensité juste et chaude des colorations, par la simplicité et la netteté de l’observation. Un peu plus de finesse et de variété dans ces carnations fraîches ou hâtées, un peu plus de souplesse et d’aisance dans les plissemens et les mouvemens des robes blanches, et ce serait une œuvre remarquable. À l’heure actuelle, chez M. Cottet, le tempérament coloriste n’est pas servi par une science du dessin suffisante ; mais cette science est de celles qui se peuvent acquérir. Si M. Cottet ne se laisse pas détourner, avant l’heure, par ce premier et légitime succès dont d’imprudens amis ne manqueront pas, suivant les habitudes modernes, d’exagérer l’importance ; s’il joint véritablement, comme nous le croyons, à ses dons naturels une volonté ferme et saine de se perfectionner et de se compléter, nous aurons peut-être quelque jour un grand peintre de plus.

Puisque nous sommes au Champ de Mars, constatons-y, avec plaisir, que M. Cottet n’est pas le seul qui fasse effort pour s’arracher virilement à cette atmosphère de buées flottantes et malsaines dans laquelle un trop grand nombre semblaient vouloir à