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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/209

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palais et les tourelles font des dentelles dans les étoiles[1] ». Et demain « Monsieur Théodore » reviendra frais et dispos à ses presses et à la vaste clientèle des pieuses Paillettes d’or.

Nous savons bien que cet Aubanel n’est pas tout à fait celui qu’on trouvera dans le livre de M. Ludovic Legré. Certes, nous n’oublions pas sa mélancolique tendresse pour Zani, non plus que la sincérité et l’ardeur de sa foi religieuse ; nous connaissons ses chants d’amour et ses sirventès catholiques ; nous n’ignorons ni son mysticisme, ni ses dévotions à la Vierge, ni ses processions, pieds nus, sous le capuce du pénitent blanc, et nous y viendrons. Mais si nous insistons d’abord sur le poète de la joie de vivre, de la beauté et de l’amour, à la mode du bon vieux temps, c’est que cet Aubanel-là disparaît un peu derrière l’autre, derrière l’amoureux transi et le poète persécuté, le catholique fervent et le grave chef de famille, que nous donne M. Ludovic Legré. À prendre ce livre d’un « témoin de sa vie » au pied de la lettre, on risquerait fort de se méprendre sur l’inspiration réelle d’une bonne moitié de son œuvre et la meilleure. Aussi bien, un autre témoin de la vie d’Aubanel, poète connu, et dont on peut dire que son caractère jure pour lui, nous écrit à ce propos : « Aubanel, cette belle âme, était joyeux et non triste. Il a beaucoup souffert pendant quelques années de sa jeunesse, avant son mariage, du départ de Zani ; mais pendant les trente dernières années de sa vie, il a été l’homme le plus gai, le plus vivant, le plus libre, le plus heureux d’Avignon. Les malheurs, les trahisons des amis, les chagrins, n’ont jamais existé qu’au bout de sa plume, quand il écrivait à son Ludovic. » À la bonne heure, et franchement nous nous en doutions : dans le cas contraire, son œuvre serait trop souvent une énigme, tandis qu’elle offre partout la clarté native du génie latin.


II

M. Alphonse Daudet déclarait un jour : « Pris dans le mouvement de Mistral, Aubanel a écrit des vers provençaux, un peu comme il aurait fait des vers latins. Je ne veux pas dire qu’il se livrât à un exercice de rhétorique, mais seulement que chez lui le retour à une langue qu’il ne parlait pas, qu’il dut apprendre, fut un goût délibéré d’artiste, non un élan spontané, instinctif comme chez Mistral. » Cette boutade, et qui fut lancée dans une

  1. Dóu goutique Avignoun
    Palais et tourrihoun
    Fan de dentello
    Dins lis estello.