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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/226

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en Prusse une maladie à la mode[1]. Il établissait dans ce curieux pamphlet, dont une nouvelle édition vient de paraître, qu’en Angleterre il ne faut juger de rien sur l’étiquette, et il rappelait à ce propos que M. Gladstone présenta jadis à la Chambre des communes un bill sur les disabilities ou incapacités canoniques du clergé colonial. On avait commencé de le discuter, et on ne savait pas encore si le gouvernement proposait de tolérer ou de supprimer les disabilities. Sir George Grey se plaignit que la Chambre délibérait dans la nuit, puisqu’on n’avait pas daigné lui expliquer de quoi il s’agissait. M. Adderley répliqua (à sir George que cela s’expliquait de soi. M. Napier déclara que si un homme qui se permettait de trouver le bill incompréhensible prouvait par là qu’il était un âne en jurisprudence, il se rangeait parmi les ânes. M. Henley remarqua que, puisque de hautes autorités juridiques confessaient leur impuissance à comprendre le sens du projet de loi, il ne rougissait pas de faire la même déclaration. M. Smith proposa l’ajournement : — « Il est évident, dit-il, qu’aucun de nous ne sait sur quoi porte la discussion, et que plus elle se prolongera, moins nous le saurons. — Je voudrais savoir, dit à son tour sir J. Packington, sur quoi la Chambre aura à voter, si elle passe au vote. — Un point me paraît clair, dit M. Chambers : c’est que, dans l’intention de ceux qui la présentent, la loi est autre chose qu’elle ne semble. — Un second point (me semble plus clair que le soleil, ajouta M. Horsman, c’est que, si la Chambre acceptait le bill, elle le voterait les yeux fermés sans avoir la moindre idée des effets qu’il pourrait produire. » Le rédacteur du bill, M. Gladstone, affirma que le texte du projet était net et limpide ; que si les honorables gentlemen le jugeaient confus, ils ne devaient s’en prendre qu’à la confusion de leurs propres idées. Il se trouva qu’en définitive M. Chambers avait raison ; qu’en présentant le bill, on avait eu de mystérieuses intentions, et qu’il n’y avait guère qu’une douzaine de membres de la Chambre qui fussent dans le secret. Mais cela ne l’empêcha pas d’être adopté.

« — Au lieu de vous laisser séduire par de vaines théories, disait Burke aux Français, ne feriez-vous pas mieux de nous prendre pour modèles, nous qui avons conservé précieusement les principes et les règles du vieux droit coutumier de l’Europe ? » — L’Angleterre ne compte plus les infidélités qu’elle a faites au vieux droit coutumier. Depuis longtemps les idées démocratiques l’ont envahie, et sa nouvelle législation en fait foi. Mais, pour parler comme la Bible, elle ne veut pas être soupçonnée de forniquer avec les dieux étrangers. Quand elle ne réussit pas à concilier les traditions et les nouveautés, elle s’applique du moins à sauver les apparences. Elle ressemble à cette jeune orpheline qui, par piété filiale, avait juré de porter toujours le manteau

  1. Der Parlamentarismus wie er ist, von Lothar Bucher, 3e édition, Stuttgard, 1894.