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tiques ou même ignorans jusqu’ici de la foi chrétienne, à ne faire qu’un seul bercail sous un seul pasteur. Le passage qu’il consacre aux Églises d’Orient, l’assurance qu’il leur donne que leurs mœurs et leurs rites seront respectés, les ménagemens infinis avec lesquels il les invite à retourner au giron abandonné, sont à la fois d’une éloquence et d’un sentiment vraiment apostoliques. Il répudie, au nom de l’Église, toute pensée d’empiéter sur les pouvoirs politiques ; il assure même qu’elle renonce volontiers à l’exercice d’une partie de ses droits, se bornant à réclamer la liberté dans le domaine qui lui est propre ; il fait appel enfin à la bonne volonté de tous pour réaliser l’unité promise, dans laquelle il voit la certitude de la paix universelle. Est-ce l’ambition d’un grand esprit ? Est-ce la chimère d’un noble cœur ? Il se le demande lui-même en finissant : « Nous n’ignorons pas, dit-il, ce qu’exige de longs et de pénibles travaux l’ordre de choses dont nous voudrions la restauration ; et plus d’un pensera peut-être que nous donnons trop à l’espérance et que nous poursuivons un idéal qui est plus à souhaiter qu’à attendre. Mais nous mettons tout notre espoir et notre confiance en Jésus-Christ, sauveur du genre humain, nous souvenant des grandes choses que put accomplir autrefois la folie de la Croix et de sa prédication, à la face de la sagesse de ce monde, stupéfaite et confondue. Nous supplions en particulier les princes et les gouvernans, au nom de leur clairvoyance politique et de leur sollicitude pour les intérêts de leurs peuples, de vouloir apprécier équitablement nos desseins et les seconder de leur bienveillance et de leur autorité. Une partie seulement des faits que nous attendons parvint-elle à maturité, ce ne serait pas un léger bienfait, au milieu d’un si rapide déclin de toutes choses, quand le malaise du présent se joint à l’appréhension de l’avenir. Le dernier siècle laissa l’Europe fatiguée de ses désastres, tremblant encore des convulsions qui l’avaient agitée. Ce siècle qui marche à sa fin ne pourrait-il pas, en retour, transmettre comme un héritage au genre humain quelques gages de concorde et l’espérance des grands bienfaits que promet l’unité de la foi chrétienne ? » Cela est beau, même humainement parlant, et montre de quelle source profonde viennent les inspirations du Saint-Père. Pour faire de grandes choses, il faut peut-être en rêver de plus grandes encore.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-gérant,

F. BRUNETIERE.