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autant de représentans de l’ancienne et de la nouvelle Alliance, dont chacun a une expression différente, une attitude finement nuancée. Adam, Abraham, Moïse, David, Jérémie et Judas Machabée, alternent ici avec saint Pierre, saint Paul, saint Jacques, saint Jean l’Évangéliste, saint Étienne et saint Laurent : association grandiose, qui renoue la chaîne des temps, et reconstruit la suite des générations depuis le premier homme et les premiers patriarches jusqu’aux premiers compagnons du Christ et aux premiers martyrs de la nouvelle Loi. Remarquez aussi le goût délicat avec lequel, autour du Saint-Esprit, les quatre animaux symboliques ont été remplacés par de ravissans petits messagers ailés qui déploient triomphalement les quatre Évangiles. Mais l’innovation la plus originale, la plus saisissante, c’est cette immense voie lactée d’en haut, croisée de rayons d’or et enveloppée de vapeurs légères, transparentes, à travers lesquelles des myriades d’âmes paraissent et disparaissent, montent et descendent, se balancent et s’envolent : spectacle kaléidoscopique d’une magie indicible, vrais dissolving views de l’Empyrée. Je n’ai point souvenir d’un motif semblable chez aucun des prédécesseurs ou contemporains de Raphaël ; Raphaël lui-même ne l’a reproduit qu’une seule fois ensuite, dans la Madone de Saint-Sixte. Et ce fond vaporeux, parsemé d’étoiles et de « papillons divins]], pour parler avec Dante, il est encore relevé de chaque côté par un groupe admirable : de chaque côté, trois génies superbes, d’une beauté radieuse et d’une couleur éclatante, s’élancent dans l’espace avec le mouvement impétueux des Victoires antiques, avec le mouvement presque des saintes Bacchantes : on dirait des déesses échappées du Parnasse voisin… Tous ces traits ingénieux et imprévus, toutes ces touches fraîches et lumineuses contribuent à rasséréner l’aspect sévère et hiératique de ces régions élevées, et à les rapprocher de la tonalité vigoureuse dans laquelle est rendue l’Église militante en bas, l’assemblée des fidèles.

L’assemblée est censée remplir un vaste hémicycle qui représente l’abside en construction du nouveau Saint-Pierre. À gauche, derrière la figure significative de Bramante, on aperçoit dans le lointain les échafaudages d’une fabbrica, avec des ouvriers portant des blocs de marbre ; du côté opposé, à droite, la puissante muraille s’élève déjà au-dessus de la hauteur d’homme ; l’autel, au milieu, porte l’inscription : Julius II pontifex maximus, et sa position isolée, ainsi que sa forme cubique, font penser à une pierre fondamentale, celle que le Rovere a consacrée dans la fameuse tranchée, le samedi in albis 1506. Parmi plusieurs dessins précieux de Raphaël, conservés à Windsor et reproduits dans la collection