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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/274

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Décrétales, il s’est inspiré de la magnifique peinture de Melozzo da Forli qu’on admire aujourd’hui dans la Pinacothèque vaticane, et a prêté au célèbre adversaire du Hohenstaufen les traits de Jules II.

Déjà sur les trois murs précédens, et à l’exemple de tant de maîtres illustres du quattrocento, le jeune Urbinate s’était complu à dessiner plus d’une figure iconique, mêlant aux personnages des siècles passés bon nombre de ses contemporains : Bramante, le duc d’Urbino, le jeune Federigo Gonzaga, le Pérugin et d’autres encore, sans s’oublier soi-même. Dans cette fresque des Décretales, et évidemment sous l’impression de l’œuvre de Melozzo représentant Sixte IV comme fondateur de la bibliothèque vaticane, il n’a mis rien que des portraits, rien que des contemporains. Vous reconnaissez bien le futur pape Léon X dans le cardinal à droite de Jules II, ainsi que le futur Paul III Farnèse dans le dernier prélat du même côté. N’était une question de date qui me rend perplexe, n’était que Giulio de’ Medici, le futur pape Clément VII, ne portait pas encore alors la pourpre, je n’hésiterais pas à donner son nom au prélat du côté opposé qui soutient le pluvial de Jules II : il rappelle si incontestablement le portrait authentique que Santi nous a laissé de Giulio de’ Medici dans le célèbre tableau de Léon X du palais Pitti ! Raphaël aurait ainsi, en 1511, montré comme dans un cadre prophétique, comme dans un miroir de Banquo, le Rovere régnant et les trois pontifes qui devaient lui succéder !… Quoi qu’il en soit, tous les personnages de cette fresque, portent un cachet de réalité et d’exactitude bien remarquables ; il est même surprenant à quel point certains de ces types se sont perpétués jusqu’à nos jours. La tête que l’on voit à côté de mon problématique prélat a le masque napoléonien vraiment saisissant, et j’ai déjà souvent dit à notre cher M. de Rossi, le glorieux auteur de Roma soterranea, qu’il n’avait qu’à laisser pousser sa barbe pour ressembler d’une manière frappante à l’avvocato consistoriale qui reçoit à genoux la bénédiction de Jules IL Seule la figure de Jules II lui-même — circonstance bien étrange au premier abord — manque de relief et de prestige !… Lorsqu’on se trouve pour la première fois en présence des Décretales, on ne peut se défendre à cet égard d’un certain sentiment de déception. La peinture ne répond guère à l’idée qu’on s’est faite du pontefice terribile, du prêtre à l’âme de feu qui a projeté et exécuté tant de grandes choses. On a devant soi un vieillard usé, abattu, on dirait presque affaissé !… C’est que le pape ligurien a posé ici devant son artiste dans le moment le plus critique et le plus désolant de sa longue vie, au mois de juillet 1511. Il venait d’être chassé de