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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/276

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et en famille, puisqu’il n’en a pas été question officiellement !… Ne vous étonnez donc pas si le Diogène du carton de l’Ambrosienne ou l’Homère du dessin de Windsor-Castle défient toute comparaison avec la Segnatura de nos jours ; car ce n’est qu’à travers des risarcimenti et des imbrattature qui se sont répétés de siècle en siècle, que nous apparaît dans cette enceinte le génie du divin Santi : Stat magni Numinis umbra !…

N’importe, il reste encore assez ici de son dessin et de sa composition pour nous faire entrevoir l’idéal que les plus hauts esprits de la Renaissance ont cru poursuivre à cette époque mémorable et que ce cycle des fresques a voulu glorifier : l’idéal grandiose d’une sorte de callocagathie chrétienne, si j’ose m’exprimer ainsi, et d’une harmonie universelle embrassant le monde classique et le monde catholique, la religion et la philosophie, l’Église et l’État, la vie spirituelle et la vie des plaisirs !… C’était un rêve, je le sais, et il eut un réveil terrible ; c’était peut-être même une immense et coupable erreur, — beaucoup de bons esprits le croient aujourd’hui ; — mais le rêve n’en fut pas moins sublime et l’erreur bien généreuse. Et quand je songe qu’au même moment, dans ces mêmes années 1509-11, où Raphaël travaillait à ce cycle magique de la Segnatura, un autre génie, un Titan suspendu à une voûte au dessous de ces « Chambres supérieures » y retraçait la Création de l’homme et faisait parler les Sibylles et les Prophètes !… Allez, c’était une grande époque que l’époque du pontefice terribile.


Avons-nous assez bavardé !… Il est temps de finir : vous me ferez encore manquer les offices à la Cappella del Coro. Adieu, cher monsieur, ou plutôt au revoir ! Revenez souvent dans notre Segnatura, et tâchez de regarder ces peintures avec les yeux d’un homme du cinquecento. Méfiez-vous en ce lieu des idées courantes de notre siècle, — et surtout gardez-vous bien des novateurs.


JULIAN KLACZKO.