Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prix. Les courses étaient le divertissement à la mode dans tout l’empire ; mais il semble que nulle part on ne les aimât autant qu’en Afrique. Il nous est resté de cette passion qu’on avait pour elles un souvenir très curieux. On croyait alors que, lorsqu’on avait à se plaindre de quelqu’un, il n’y avait rien de plus sûr, pour lui faire du mal, que de confier aux morts sa vengeance ; on écrivait donc le nom de celui à qui on voulait nuire sur une lame de plomb qu’on insinuait dans une tombe : on supposait que le défunt se chargerait de remettre la requête aux dieux infernaux. On a trouvé en Afrique un assez grand nombre de ces lames, et vraisemblablement on en trouvera bien davantage. Quelques-unes nous révèlent de petits romans inconnus : ce sont quelquefois des amoureux qui se plaignent d’avoir été trompés et réclament la punition des coupables. « O toi, qui gouvernes le monde souterrain, dit l’un d’eux, je te recommande Julia Faustilla ; viens la prendre le plutôt possible et mets-là au nombre de tes sujets. » Ce qui arrive le plus souvent, c’est que les lames ont été déposées par des cochers qui veulent se débarrasser de leurs rivaux. Ils appellent à leur aide les divinités de tous les pays ; ils nomment l’un après l’autre tous les chevaux qui pourraient leur disputer le prix ; ils demandent aux dieux de les rendre impuissans : « Arrêtez-les, enchaînez-les, enlevez-leur toutes leurs forces ; qu’ils ne puissent pas sortir de l’écurie, passer la porte de l’hippodrome, s’avancer d’un pas sur la piste, et quant à ceux qui les conduisent, paralysez leurs mains, qu’il leur soit impossible de voir, d’agiter les rênes, de se tenir debout ; précipitez-les du char, jetez-les à terre et qu’ils soient foulés aux pieds de leurs chevaux. Sans retard, sans retard ; tout de suite, tout de suite[1] ! » Ces supplications furieuses montrent l’ardeur qu’on mettait aux luttes de ce genre. La victoire ne donnait pas seulement la réputation aux chevaux et aux cochers qui l’avaient remportée : elle pouvait leur donner aussi la fortune. Une inscription trouvée il y a quelques années à Rome nous apprend que le cocher Crescens, Maure d’origine (les cochers étaient alors Africains comme aujourd’hui ils sont anglais), a gagné en dix ans 1500 000 sesterces (un peu plus de 30 0000 fr.)[2]. Pompéianus faisait courir, ce qui explique l’importance qu’il attachait à son écurie.

Il aimait aussi beaucoup la chasse, et il n’a eu garde d’oublier ce divertissement dans ses mosaïques. Elle y est le sujet de deux tableaux, l’un qui nous montre simplement le parc où il entretient

  1. On était si bien convaincu de l’efficacité de ces maléfices qu’une loi de Valentinien condamne à mort ceux qui les commettent.
  2. Cette inscription a été publiée avec un savant commentaire, par Mme la comtesse Hersilia Lovatelli.