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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/316

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la régularité magistrale de ses traits. Elle est belle de corps et jolie de visage, cette fille des solitudes et, en dépit du rude métier qu’elle paraît exercer, car un second lasso est suspendu à l’arçon de sa selle, tous ses mouvemens ont une grâce innée.

— La tigresse pour laquelle Maximo et Lorenzo ont voulu se massacrer ! me dit Mateo, en accompagnant sa phrase d’un coup de coude aussi vigoureux que familier et en me montrant ses dents de carnassier…

Je n’ai pas le temps de répondre, car nous traversons une prairie où paissent des chevaux et des taureaux que le soin de ma sécurité m’oblige à surveiller. Nous dépassons quelques bouquets d’arbres, la haute montagne qui abrite le lac est devant nous, et ce dernier scintille à notre droite. Bientôt quatre chiens menaçans hurlent autour de nous. Notre conductrice saute aussitôt à terre pour nous protéger, et livre son cheval à deux Indiens qui semblent être sortis de terre. Nous gravissons une pente et, sur une plateforme, nous apercevons un vaste rancho qui domine le lac. Sur le seuil de la demeure aux murs de bambous, paraît une matrone sous les rides de laquelle je retrouva les beaux traits de sa fille, la señorita Amada.


II

Il y a huit jours que je suis le commensal choyé de don Onésimo et de sa femme, en même temps que le grand ami de la señorita Amada, en compagnie de laquelle j’erre chaque matin et chaque après-dîner tantôt autour du lac, tantôt le long du torrent qui descend de la montagne et l’alimente. J’ai dans la jeune fille un guide à la fois charmant et intelligent, lequel a déjà pris goût à mes recherches zoologiques et botaniques, dont l’insatiable curiosité m’accable de questions, m’oblige sans cesse à professer. Jusqu’ici elle a vécu sans regarder ce qui l’entoure, ma belle compagne ; maintenant elle regarde, elle voit, elle admire, et ses étonnemens m’ouvrent à moi-même d’inattendus horizons. En temps ordinaire, Amada qui est une écuyère d’une habileté et d’une audace sans pareilles, seconde son père dans les soins que réclame son sauvage bétail. Or, dès le surlendemain de notre arrivée, Mateo, qui a été vaquero et qui aime les périls de ce rude métier, a pris avec joie les fonctions de notre jeune hôtesse, et lui a cédé en partie celles qu’il remplissait près de moi, ce qui ne m’a nullement déplu. Je me hâte d’ajouter, pour écarter tout malicieux commentaire, que, si j’admire la beauté sévère de ma jeune élève et l’incomparable éclat de ses dix-huit ans, la