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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/471

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résultait directement d’un court entretien qu’avait eu Goethe avec le philologue Diez. De combien d’autres côtés découvrira-t-on encore que Gœthe a été le grand initiateur de la pensée moderne ?

« Peut-être le XXe siècle découvrira-t-il que, deux cents ans d’avance, Gœthe avait prévu tout ce qu’il aura atteint et tout ce qu’il cherchera à atteindre. Et le temps aura beau marcher, il n’entamera pas le lien qui rattache Gœthe aux générations de l’avenir. Qu’importe un siècle de plus ou de moins pour la grandeur d’Homère ou de Shakspeare, pour leur influence ? Sans cesse au contraire devient plus fort leur empire sur nos âmes. Et un jour Gœthe apparaîtra dans la compagnie de ces deux grands hommes ; ils seront, à eux trois, les trois étoiles qui guideront dans sa marche l’humanité future. »

De toute la Littérature-Gœthe de ces temps derniers, seule une étude des Preussische Jahrbücher mériterait une analyse un peu étendue. Encore cette étude ne traite-t-elle pas de Gœthe, mais de la souveraine qui, si elle ne l’a pas inventé, a du moins la première donné à son génie une consécration officielle, — de cette grande-duchesse douairière de Saxe-Weimar, Anne-Amélie, qui, après avoir appelé à Weimar le vieux Wieland, y a protégé le jeune Gœthe, et l’a autorisé à se lier d’amitié avec son fils, le grand-duc Charles-Auguste.

D’après plusieurs ouvrages récens, l’auteur de l’article, M. G. Kreyenberg, a raconté en quelques pages la vie et dépeint l’aimable figure de cette personne, dont le rôle a été si considérable dans l’histoire de la littérature allemande.

Anne-Amélie était fille du duc de Brunswick et nièce du grand Frédéric. Elle avait été élevée à la française, mais sans grand soin, et, en dehors de la musique, n’avait rien appris. Elle était en outre assez laide, avec de jolies mains et de petits pieds. À seize ans, on l’avait mariée à un jeune homme de dix-huit ans, le duc de Weimar, Ernest-Auguste-Constantin ; et très peu de temps après, son mari était mort, lui laissant la régence. Les devoirs de sa charge, l’éducation de ses deux fils, l’avaient alors si profondément absorbée qu’elle n’avait pas eu un moment de repos jusqu’au jour où son fils aîné, Charles-Auguste, avait enfin été proclamé majeur. Depuis ce moment, en revanche, elle ne songea plus qu’à se reposer, à jouir voluptueusement de la vie. Elle faisait jouer des farces, des opérettes, où souvent elle tenait un rôle. Puis, lorsque Gœthe, Wieland et Herder eurent résolu de faire de Weimar l’Athènes de l’Allemagne, ce fut le tour des drames antiques, de l’Iphigénie de Gœthe. L’excellente princesse s’amusait de tout.

Elle poussa même la bonne volonté jusqu’à vouloir apprendre le grec : elle prit des leçons de Villoison, et fut bientôt en état, paraît-il, de lire dans le texte les plaisanteries d’Aristophane. Elle voulait devenir muse : c’était désormais son unique ambition.

Et, de fait, elle le devint. Elle fut la Muse de Tiefurt. Elle se fit construire