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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/473

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les juger. C’est encore Henri Heine, dans son livre de l’Allemagne, qui en a parlé avec le plus de justesse ; il les détestait, il aurait été désolé qu’on les prit au sérieux, mais du moins il les connaissait, et ce qu’il nous en dit se rapporte à eux.

C’est qu’il avait été leur élève, puis leur confrère, et toujours, quoi qu’il en ait dit, il est resté l’un d’entre eux. Il a seulement réussi à les faire tous oublier ; de sorte qu’aujourd’hui, après Goethe et Schiller, nous ne voyons plus que lui seul. Il a même sur Goethe et Schiller cet avantage considérable que, tout en l’admirant peut-être un peu moins, nous continuons à le lire. Et en vérité il n’y a guère de poète dont il soit plus difficile de se fatiguer : il est si varié, si agile, il a tant d’adresse pour faire alterner, au moment qui convient, l’émotion et la moquerie ! J’ai l’idée que, s’il avait vécu dix ans de plus, il se serait lié avec Offenbach, et que de leur collaboration serait résultée l’opérette idéale, un Orphée aux Enfers aussi gai que l’autre, mais tout parfumé de tendresse et de poésie. Ces deux Prussiens libérés étaient si bien faits pour s’entendre !

La personne de Heine, malheureusement, ne gagne pas autant que son œuvre à être connue de très près. Il a été un bon fils, un bon frère, un bon mari ; et jamais un martyr n’a eu à endurer les souffrances qu’il a dû subir. Mais, avec tout cela, chacun des efforts que l’on fait pour nous intéresser à lui arrive seulement à nous en éloigner.

Voici par exemple, dans la Deutsche Rundschau de juin et juillet, une abondante série de lettres, notes, et documens divers, se rapportant à son séjour en France. Ces documens ont été recueillis par un jeune savant français, M. Jules Legras, qui avoue, dans sa conclusion, qu’il les publie surtout pour justifier la mémoire de Heine d’une accusation imméritée. M. Legras prouve, en effet, par une suite d’ingénieuses hypothèses et d’habiles inductions, que la pension accordée à Heine par le gouvernement de Louis-Philippe lui venait de Thiers, son ami, et non pas de Guizot. Il prouve en outre, ou du moins il essaie de prouver, que ni Thiers, ni Guizot ne connaissaient les articles que Heine écrivait sur eux à la Gazette d’Augsbourg. Mais ses inférences ne réussissent pas à enlever aux documens qu’il publie je ne sais quoi de mesquin et de déplaisant qui s’y retrouve toujours.

J’imagine, d’ailleurs, que M. Legras ne tardera pas à publier en français — si ce n’est chose faite — ces précieux documens, dont la plupart lui viennent de MM. Calmann Lévy et Bourdeau.


La publication de mémoires, de lettres, de fragmens posthumes, prend une place de plus en plus considérable dans les revues allemandes. C’est ainsi que, en outre de ces documens sur Heine, la Deutsche Rundschau publie de nombreuses lettres du romancier suisse Gottfried Keller ; la