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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/483

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gation pour un premier délit. Quant au délit de propagande anarchique, les radicaux soutiennent que le projet de loi ne le définit pas et qu’il est d’ailleurs indéfinissable. Il semble bien, pourtant, que les expressions du projet sont suffisamment claires lorsqu’elles donnent pour caractère à cette propagande le fait précis de préconiser des attentats contre les personnes ou les propriétés. Ce sont là des délits qu’il est impossible de confondre avec les délits d’opinion. Ils n’ont rien de commun avec la liberté de la presse, que les adversaires du projet de loi déclarent menacée. La vérité est que la loi proposée est rigoureuse, mais le gouvernement la déclare nécessaire : les chambres ne la lui refuseront pas. Elles ne pourraient le faire sans prendre à leur charge la responsabilité que le gouvernement n’a pas voulu accepter pour lui-même. Au reste, la composition de la commission chargée d’étudier le projet de loi est déjà une garantie qu’il sera voté. Sur onze commissaires, un seul est contraire au projet. La commission, d’accord avec le gouvernement, y a introduit quelques changemens de détail, qui en laissent le caractère intact. Les radicaux vont livrer à ce sujet une dernière bataille ; ils la perdront ainsi que les précédentes. Il est impossible aujourd’hui d’accepter comme réelles les fictions sur lesquelles repose, au moins en partie, la loi sur la presse de 1881. L’erreur fondamentale de cette loi est que, si on n’a pas le droit de tout faire, on a celui de tout dire, de tout écrire, et que le délit ne commence qu’avec l’action coupable. Le plus souvent, dans ce système, le délit ou le crime est inspiré par l’un et commis par l’autre ; le premier reste indemne et libre de continuer son apostolat, le second seul est frappé. Cette loi a vraiment désarmé la société contre les pires agressions morales, avant-courrières des agressions matérielles. Il en est résulté que tout le monde, individus, magistrats, gouvernemens, a eu le sentiment d’une égale impuissance, et ce sentiment a enfanté une défaillance générale. On peut voir aujourd’hui où cela nous a conduits.

Au dehors, l’attentat du 24 juin a causé une impression aussi profonde qu’en France même, et nous avons recueilli les marques d’une sympathie universelle. Ces témoignages ont été trop nombreux pour que nous puissions les énumérer ici. Le nonce du Pape, à la tête du corps diplomatique, en a apporté l’expression à M. Casimir-Perier dans le langage le plus élevé et le plus émouvant. Presque tous les parlemens du monde civifisé ont envoyé au nôtre des adresses de condoléances. Mme Carnot a reçu des télégrammes de tous les souverains et de tous les princes qui avaient été, soit directement, soit indirectement, en relations avec son mari. Mais, parmi toutes ces manifestations, nous sommes bien obligé de faire une place à part à celle de l’empereur Guillaume, parce qu’elle a eu un caractère tout particulier et qu’elle témoigne de sentimens qu’un pays généreux comme le nôtre