Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/585

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des légumes, des poissons, des volailles, avant de passer à l’étude de la figure humaine. En associant avec goût ces objets, de manière à en composer des ensembles agréables, les débutans se familiarisaient avec les formes et les couleurs. Ils acquéraient, en même temps que le sentiment de l’harmonie, l’habileté si désirable du maniement de la brosse, pour rendre avec toute leur diversité les modèles qui posaient complaisamment devant eux. Bien des peintres de grand talent, en Italie et surtout en Hollande, s’étaient fait une spécialité de la représentation de ces natures mortes, et pour se détendre de leurs grands travaux en se retrempant dans l’étude directe de la réalité, des maîtres tels que Rubens, Rembrandt, ou de nos jours même Delacroix ont souvent pris plaisir à en peindre. Jusque dans ces petites choses, en effet, un grand artiste peut montrer ce qu’il est et trouver pour lui-même des enseignemens. Velazquez devait tirer un profit certain de ces sortes d’études connues en Espagne sous le nom de bodegones, et Pacheco nous apprend qu’il en avait exécuté un grand nombre. Indépendamment même du témoignage de Pacheco, nous en trouverions une preuve suffisante dans l’excellence avec laquelle son illustre élève a traité les accessoires, que d’ailleurs il n’a jamais introduits que très discrètement dans ses œuvres.

En ajoutant à ces accessoires groupés et choisis avec attention quelque personnage, Velazquez et après lui Murillo trouvaient le sujet de quelques-unes de ces scènes familières dont la vie espagnole fournit à chaque instant les motifs pittoresques. Pour quelques maravédis, le gamin de la rue, le portefaix en disponibilité, le vieux pauvre ou la paysanne du marché voisin, tous les oisifs que l’artiste rencontrait sur son chemin, — et Dieu sait qu’il n’en manque pas en ce pays ! — étaient prêts à lui donner séance. Avec eux, il n’avait pas à se gêner, et sans épargner leur temps, ni sa peine, il se faisait la main pour de plus nobles modèles. Son biographe nous apprend même qu’afin de n’avoir pas à les chercher, il avait recueilli chez lui un jeune paysan qui, moyennant un très mince salaire, posait devant lui dans toutes les attitudes, sous tous les éclairages, en prenant toutes les expressions qu’il pouvait souhaiter. Il le dessinait au crayon noir sur du papier teinté qu’il rehaussait légèrement de blanc ou d’un peu de couleur. En se proposant ainsi les problèmes les plus divers en face de la nature, il apprenait à la bien voir, et, avec l’amour toujours plus profond qu’elle lui inspirait, il s’appliquait à rendre l’infinie variété de ses aspects.

Il eût été intéressant de retrouver quelques-uns de ces dessins ; mais aucun d’eux, que je sache, n’est parvenu jusqu’à nous. Les rares spécimens qui nous sont offerts sous le nom de Velazquez