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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/634

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ont sombré, et, laquais enrichis, fournisseurs, agioteurs n’ont cure des bonnes traditions littéraires ; les anciens salons restent fermés, une société nouvelle se forme qui réclame un art dramatique nouveau, monde étrange, inquiet, désœuvré, qui, dans sa hâte de jouir, se lance éperdûment en avant, court chez Nicolet contempler, dans Madame Angot, la pièce d’Aude, une caricature des ridicules de ses parvenus, de l’Aristophane on sabots, mais « il faut bien du gros sel pour saler les grosses bêtes ! » À tout le moins donne-t-il la sensation d’une vie intense, d’une force mal employée peut-être, mais bien extraordinaire. Epoque jugée trop sévèrement, sans doute, et dont les détracteurs ont méconnu l’éclat ! Qu’il soit aisé d’en critiquer les vices, de dénoncer cette faveur d’agiotage qui sévit jusqu’au foyer de la Comédie où l’on achète et revend des parties de sucre, de souliers, des draps pendant l’entr’acte, je le veux bien, mais aurait-on oublié les scandales de la rue Quincampoix ? On tirait parfois des loteries de bijoux chez les modernes Fouquets ; mais sous Louis XV les femmes de la cour ne s’entendaient-elles pas fort bien à dévaliser les gros traitans ? On a dit que le Directoire fut la Régence de la République, mais ses armées portent assez fièrement son drapeau devant l’étranger. Et, le lendemain de la Terreur, parer aux dangers déchaînés en tout sens, reconstituer le principe d’autorité, faire signer un nouvel édit de Nantes à des partis acharnés, ne jurant que la vengeance ou affolés par la crainte des représailles, une telle tâche exigeait plus que du génie, une sagesse presque surhumaine, des moyens d’action manquant à un pouvoir incertain, affaibli par la constitution, divisé de sentimens, de doctrines, agité lui-même des passions qu’il aurait dû combattre.


V

Dans les premières années du XIXe siècle[1], deux artistes de la Comédie-Française, Jeanne Devienne, Louise Contat, brillent au théâtre, sur la scène du monde, par leurs talens et leur beauté, la société d’élite qu’elles savent rassembler et retenir, l’art de se faire de leurs admirateurs des amis dévoués : deux soubrettes admirables qui succèdent à Dangeville et la remplacent ; deux femmes charmantes, infidèles quelquefois à l’amant, jamais à l’amour ; mettant dans leurs goûts la décence, le tact et cette pointe de mystère que le monde exige pour prix de sa tolérance.

En vérité, Louise Contat était une manière de grande dame ;

  1. Devienne, 1763-1841. — Louise Contat, 1760-1820.