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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/671

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Il y a en outre à considérer que la plupart des maux économiques ne sont vraiment des maux que pour telles ou telles catégories de personnes qu’ils affectent directement, et seraient plutôt des bienfaits pour d’autres. Ainsi en est-il du phénomène de la baisse des prix qui cause tant de lamentations. En fait, la diminution progressive des prix de toutes les choses nécessaires ou utiles à l’existence est expressément l’objet que poursuivent les producteurs désireux de supplanter des concurrens sur le marché, les inventeurs de procédés nouveaux de fabrication, et surtout les consommateurs, principaux intéressés dans le développement de ce phénomène économique. Comment la baisse graduelle des prix pourrait-elle être un mal, alors qu’elle est la fin même où tend l’action combinée de toutes les forces de la civilisation ?

C’est dans cet esprit de réaction contre le pessimisme professionnel des économistes que, dans une réunion récente de la Chambre de commerce à Londres, le chancelier de l’Echiquier, sir William Harcourt, traitait, en une allocution familière, la question des difficultés où se débattent depuis plusieurs années le commerce et l’agriculture de la Grande-Bretagne. Sans doute, disait-il, la diminution constante des prix fait ressortir une décroissance sensible du commerce extérieur anglais considéré au point de vue de la valeur. Mais si l’on considère le volume de ce commerce, — c’est-à-dire la quantité et le poids des marchandises, — le total apparaît en progression constante. On ne saurait donc affirmer qu’il y ait recul, et que la Grande-Bretagne ne sorte pas victorieuse de la lutte, en dépit des compétitions chaque année plus fortes, plus redoutables, qui surgissent de toute part sur la surface du globe pour lui arracher son ancienne suprématie commerciale ? Certes il est difficile d’imaginer un concours de circonstances plus fâcheuses que celles qui se sont trouvées accumulées en 1893 contre l’industrie et le commerce anglais : à l’intérieur d’énormes grèves ; au dehors, les pays acheteurs, États-Unis, Inde, Brésil. Australie, éprouvés par des crises d’une violence peu commune. Le commerce de la Grande-Bretagne n’en a pas moins traversé cette tempête sans avaries trop considérables. Parler de sa ruine prochaine ou de sa décadence irrémédiable serait ridicule.

Le phénomène de la baisse des prix, — fâcheux dans une certaine mesure pour le producteur et l’intermédiaire, mais avantageux pour le consommateur, — a pour conséquence la diminution des profits. Que les bénéfices de l’industrie et du commerce diminuent, on ne peut le nier ; tous les industriels et commerçans le proclament, il faut bien les en croire. Quelques-uns même vont jusqu’à