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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/730

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situation, soit aux dispositions personnelles, je dirais volontiers, au tempérament et à l’humeur de tous ceux qui ont agi ou parlé en leur nom, souverains, hommes d’État ou favoris, Louis XV, Marie-Thérèse, Frédéric, Kaunitz, Bernis ou Pompadour. C’est une recherche qui peut mettre en lumière des incidens ignorés dont la connaissance aura son prix pour les lecteurs curieux. Je ne me dissimule pourtant pas qu’avec le mystère tout le charme de l’inconnu, tout l’agrément des fictions anecdotiques ou romanesques courent risque de disparaître, pour faire place, devant la lumière de la vérité, à la sèche analyse des intérêts et à la peinture des passions ordinaires de l’humanité.


I

Un fait résultera d’une façon définitive, suivant moi, du rapprochement et de la comparaison des documens nouveaux (soit publics, soit inédits), et devra rester acquis à l’histoire, c’est que la déviation imprimée par le traité de 1750 au cours qu’avait jusque-là suivi la politique française, ne fut pas l’œuvre d’un coup de tête enlevé par surprise, ou d’une intrigue menée dans l’ombre ; ce fut l’effet inévitable d’une altération survenue dans les conditions d’existence et d’équilibre de la société européenne, amenant entre les États des rapports nouveaux, et dont la nécessité, tardivement reconnue, ne fut acceptée qu’à regret par ceux qui se virent forcés de la subir.

C’est ce qu’a déjà fait pressentir, je crois, l’exposé que j’ai présenté ici même, et dont quelques lecteurs peuvent se souvenir, des relations des divers États pendant la guerre de la succession d’Autriche qui a précédé de si peu d’années le traité de 1756. C’est ce qui ressort en particulier du tableau que j’ai essayé de tracer de la situation dans laquelle la paix d’Aix-la-Chapelle, qui termina ce long conflit, laissait les puissances belligérantes. À cette guerre-là l’histoire peut faire tous les reproches, excepté de s’être écartée des traditions de la politique française. Jamais imitation du passé n’avait été plus fidèle, on pourrait même dire plus aveugle. Le but primitivement proposé et même un instant atteint et qui consistait à enlever à la maison d’Autriche avec la dignité impériale la suprématie sur l’Allemagne, n’était autre chose que la répétition des vues déjà poursuivies à plusieurs reprises par tous les souverains de France depuis François Ier.

C’était donc, si on ose ainsi parler, la guerre classique par excellence. Aussi l’Europe s’était-elle trouvée tout de suite divisée en deux camps, suivant une ligne de démarcation exactement