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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/734

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difficile à atteindre que toutes les autres : c’est la Prusse, installée sur le sol même du domaine héréditaire des archiducs, pouvant apparaître à tout moment sur une frontière restée béante, et n’ayant qu’à étendre le bras pour frapper au cœur ce qui reste de l’ancienne puissance autrichienne. Cet ennemi-là est le seul auquel il faille désormais songer, parce qu’il y va du salut même de la maison impériale à pouvoir l’écarter à temps de la position menaçante qu’il a prise : et, comme le spoliateur le sait et le comprend lui-même, comme il s’attend que tôt ou tard un effort sera fait pour le chasser, il est probable qu’il ne voudra pas se laisser devancer. L’hostilité de ce côté est donc irréconciliable et peut éclater à toute heure.

Contre cet ennemi implacable, continue Kaunitz, l’Autriche n’a malheureusement rien à espérer de ses anciens alliés. Sans doute, entre le roi d’Angleterre et son neveu existe toujours une antipathie réciproque, mais la nation elle-même ne s’associe point à ce dissentiment domestique ; elle ne partage pas les rancunes du souverain et moins encore sa prédilection pour sa principauté allemande. Détesté à la cour, le roi de Prusse est bien vu du peuple et de la Cité. L’Angleterre, au fond, n’est plus occupée que d’étendre sa puissance coloniale et maritime et devient indifférente aux luttes du continent, surtout au régime intérieur de l’Empire et de l’Allemagne. On a bien vu ce qu’on peut espérer d’elle, désormais, par sa précipitation à conclure une paix tout à son profit, sans souci des sacrifices qu’elle imposait à son alliée. Même jugement à porter sur la Hollande que l’Angleterre traîne à sa suite, toujours agitée d’ailleurs par des troubles civils, et dont les finances épuisées n’ont pu soutenir jusqu’au bout la dernière épreuve. On pourrait espérer mieux de la Russie, si la politique de cette cour, au lieu d’être dirigée en vue d’intérêts réels, ne dépendait pas du caprice à tout moment variable d’une volonté personnelle.

Il est donc également impossible, conclut l’impitoyable logicien, et de trouver un appui dans l’ancien système fédératif, et de tenter sans alliance une entreprise à la fois aussi périlleuse et aussi nécessaire que la reprise de la Silésie. Ne pouvant compter sur aucun ami, c’est un ennemi qu’il faut détacher. Le seul auquel on pût penser, il n’était pas besoin de le nommer. Ce n’est pourtant qu’après beaucoup de précautions oratoires, et avec le sentiment de tous les préjugés qu’il doit vaincre, que Kaunitz se décide enfin à prononcer le nom de la France. Il ne conteste ni n’atténue aucun des griefs anciens et nouveaux dont tout Autrichien a le droit de garder le ressentiment, et moins que tout autre