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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/878

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Deux de ces portraits, à raison de leur supériorité marquée, méritent cependant mieux que la mention sommaire à laquelle nous avons dû nous borner pour les précédens. L’un d’eux a longtemps passé, et le catalogue du musée du Prado le donne encore aujourd’hui pour celui d’Alonso Cano. M. Lefort y a le premier reconnu les traits du sculpteur Montanez, et de son côté M. Justi est arrivé à la même détermination. C’était aussi, nous le savons, un ami de Velazquez qui l’avait connu à Séville chez Pacheco. L’artiste lu représenté l’ébauchoir dans la main droite, travaillant à un buste placé devant lui, peut-être celui du roi ; le sculpteur, en effet, au lieu d’un vêtement d’atelier, porte ici un costume plus correct, une tunique noire serrée à la taille par une ceinture de cuir. Il est à mi-corps, la tête de trois quarts, tournée vers le spectateur. Bien que déjà vieux, car ses cheveux grisonnans se font plus rares, sa moustache est grise et sa barbiche tout à fait blanche, il a conservé toute son énergie. La physionomie respire la franchise et l’intelligence, le regard plein de feu et de volonté atteste l’artiste observateur, cherchant à démêler dans la réalité les traits vraiment caractéristiques, ceux qu’il doit retenir et s’appliquer à rendre. Modelé |d’une justesse parfaite, obtenu par les moyens les plus simples, colorations réduites au strict nécessaire, — les blancs de la collerette et des manches et les noirs du costume, — combinées pour donner un relief et un éclat merveilleux aux carnations très fortement éclairées, tout ici concourt à rendre l’effet plus saisissant.

Même force, avec une sobriété encore plus contenue, dans le beau portrait de Dresde où M. Justi a eu raison de retrouver le type d’un certain Juan Mateos, grand veneur de Philippe IV. Des chairs un peu molles, le teint d’un bilieux, des traits irréguliers, un gros nez, la bouche contractée, de petits yeux sombres sous des sourcils en broussailles, un double menton déjà très accusé, des cheveux gris et ras, des mains à peine indiquées ; pour costume, un pourpoint noir aux rayures alternativement mates ou luisantes et un petit col blanc ; pour fond, un ton gris neutre sur lequel le personnage se détache en vigueur sur la droite de la toile et en clair sur la gauche, tout cela, on le voit, n’offrait pas grandes ressources à un peintre et ne promet pas grand intérêt. Et cependant, en dépit de ces colorations austères et de ce type un peu maussade, le portrait de Dresde tiendrait dignement sa place parmi les meilleures toiles du maître. Peut-être même à cause de l’insignifiance du modèle et de la simplicité du parti, les qualités de Velazquez apparaissent-elles ici plus éclatantes. On ne se lasse pas d’admirer cette façon discrète, inimitable, de colorer à si