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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/887

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autre chef de gang, Richard Lynch, dit « la Terreur de Lower Broadway », qu’il assommait selon toutes les règles, devant un public d’élite, à Jone’s Wood. Il s’en acquitta si bien que ses partisans le poussèrent à se mesurer avec Owney Geoghagan, l’un des plus redoutables boxeurs de profession de New-York, et engagèrent sur lui des paris considérables. L’intervention de la police empocha cette rencontre et, réduit à chercher un métier plus pacifique, Richard Crocker devint chauffeur d’une pompe à vapeur.

Il aspirait à de plus hautes destinées ; les scrupules l’embarrassaient peu ; la politique l’attirait, et il y devinait son véritable élément. Il trouva sans peine parmi ceux qui en faisaient, et que ses antécédens n’étaient pas pour effaroucher, aussi bien que parmi les sportsmen qui appréciaient sa magistrale entente de la boxe, les fonds nécessaires pour ouvrir un débit de boissons. Du coup, il devenait un homme à ménager, un agent électoral avec lequel on devait compter. Son saloon fut tout de suite achalandé. Les toughs y affluaient, les nomades de la rue s’y donnaient rendez-vous, politiciens et pugilistes s’y réunissaient ; et si l’établissement était en mauvaise odeur auprès de la police, si sa clientèle laissait à désirer, Dick y maintenait l’ordre, grâce à la vigueur de son poignet, et il excellait à faire payer les consommateurs récalcitrans. Il excellait aussi à procurer à, cette population vagabonde du travail à son goût, à recruter, pour le compte des politiciens et moyennant une haute paie, des hommes solides, peu difficultueux sur la besogne à faire. Les partis politiques se disputaient son concours. Il opta pour le plus fort et fit acte d’adhésion bruyante au parti démocrate dont les chefs d’alors : Tweed, condamné depuis aux travaux forcés, et « Prince » Harry Genêt, se l’attachèrent en lui donnant un emploi ou mieux une sinécure dans l’administration municipale ; il en cumulait le traitement avec les recettes de son saloon et se trouvait en passe de devenir un personnage. Il le devint, en effet, lors du renouvellement du conseil municipal de New-York et fut élu alderman, non sans avoir signé et remis aux mains de Tweed et de « Prince » Harry Genêt, qui ne se fiaient que modérément à lui, l’engagement de ne proposer et de ne voter aucune mesure sans l’assentiment préalable de ses deux puissans patrons. Crocker était intelligent ; il sut rester fidèle à sa promesse et en fut récompensé par le poste de coroner du comté et subséquemment par celui de commissaire des pompiers. Il devait, plus tard, remplacer Tweed comme Boss de Tammany-Hall. « M. Crocker, écrit dans l’Atlantic Monthly l’un des portraitistes du grand homme, n’a pas plus de cinquante-cinq ans ; il est de taille moyenne, solidement bâti et d’une force herculéenne. Le trait caractéristique