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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/900

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Le Limousin est essentiellement un pays d’élevage ; le sous-sol imperméable force les eaux à courir à la surface des terres accidentées : on a su tirer parti de cette structure du terrain ; presque partout les prairies sont irriguées ; elles n’étaient cependant que d’un maigre profit tant que les amende meus calcaires ont fait défaut, et il est intéressant d’en chercher la raison.

Il n’est pas de plantes plus sensibles à l’action des engrais azotés que les graminées de la prairie : quand elles reçoivent des nitrates, elles deviennent vigoureuses et les coupes sont copieuses. En général la matière azotée, origine de ces nitrates, entretenue par les débris végétaux qui s’accumulent dans la prairie, par l’activité des microbes fixateurs d’azote, est en quantité suffisante pour nourrir d’abondantes récoltes. Il arrive souvent cependant qu’elles soient médiocres, et qu’il y ait un profond désaccord entre la richesse du sol et la pauvreté des produits qu’il fournit. Ce désaccord est dû à l’inertie de la matière azotée : les fermons qui doivent la transformer, les fermens nitriques, ne travaillent que dans les milieux très légèrement alcalins ; or l’accumulation des débris végétaux provoque au contraire la formation de substances acides, et la matière azotée s’accumule inutile : elle n’est pas assimilable. Tout change par l’addition de la chaux ; l’acidité du sol est neutralisée, bientôt les fermens nitriques se mettent à l’œuvre, la matière azotée évolue, les récoltes augmentent. Rien n’est plus facile que de montrer dans les laboratoires cette heureuse transformation : une terre acide de prairie régulièrement arrosée qui ne donne pas traces de nitrates, en fournit aussitôt que la chaux répandue s’est carbonatée à l’air.

La chaux, en outre, modifie profondément la flore des prairies granitiques ou schisteuses : à la place des joncs et des carex qui abondent dans les fonds humides, apparaissent les légumineuses. La chaux leur est indispensable, c’est pour elles un aliment nécessaire comme l’acide phosphorique. Or l’arrivée des légumineuses dans les prairies naturelles en accroît sensiblement la valeur, le foin devient plus nutritif ; et toutes les plantes médiocres qui constituent les prairies acides, dépérissent après le chaulage. Dans le combat pour la vie que livrent sans cesse les espèces des prairies, l’avantage reste aux bonnes graminées et aux légumineuses ; le petit trèfle blanc, la minette, qui ne croissent pas dans les terres privées de chaux, commencent d’apparaître, et finalement en quelques années, de simples pacages deviennent des prairies fauchables.

En Limousin, l’effet fut prodigieux : sur nombre de domaines qui naguère encore nourrissaient à peine le métayer et ne