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par l’acide phosphorique libre. Sur les sols pauvres en chaux de la Bretagne, les superphosphates sont proscrits : leur influence est néfaste.

Quand nous avons incorporé à un sol légèrement calcaire un superphosphate, nous y avons formé un phosphate attaquable par les sucs acides des racines, et si la terre ne renferme pas naturellement des phosphates semblables, l’effet est admirable ; il est nul si la terre contient déjà un phosphate assimilable. Pour prévoir si les superphosphates augmenteront les récoltes ou seront répandus en pure perte, il fallait donc non seulement connaître la quantité d’acide phosphorique totale que le sol renferme, mais encore distinguer celui qui est actuellement assimilable de celui qui résiste à l’action dissolvante des racines. J’y ai employé un acide médiocrement énergique, l’acide acétique, et j’ai reconnu que lorsqu’une terre renferme par kilogramme : 1 gramme d’acide phosphorique total et 0gr, 2 d’acide phosphorique soluble dans l’acide acétique, les superphosphates sont sans action : c’est le cas de nos terres de Grignon, de celles de la Limagne et aussi d’une terre admirablement fertile, qui depuis l’antiquité la plus reculée est célèbre par sa fécondité : le limon du Nil[1].

Il est bien à remarquer au reste que les diverses substances qui existent naturellement dans le sol ou qu’on y ajoute, réagissent constamment les unes sur les autres, et que ces réactions conduisent parfois à des résultats très inattendus.

J’ai laissé sans engrais, depuis 1875, plusieurs parcelles de mon champ d’expériences de Grignon : naturellement, les récoltes y sont devenues très faibles. Frappé, il y a quelques années déjà, du maigre développement du trèfle que j’y avais semé, je me demandai si la diminution de l’humus, que j’avais constatée par l’analyse, était la seule cause de l’amoindrissement des récoltes et si la terre n’était pas épuisée d’acide phosphorique. Je ne le pensais pas, car l’acide phosphorique, n’étant pas entraîné par les eaux de drainage, n’est enlevé que par les récoltes ; je savais ce qu’elles avaient emprunté au sol de cette parcelle, et j’étais assuré que le stock d’acide phosphorique restant était considérable. Cependant je voulus en avoir le cœur net, et j’eus recours à l’ultima ratio dans nos sciences d’observation, à l’expérience : la moitié de la parcelle reçut du superphosphate, l’autre resta sans addition : l’effet

  1. Tout récemment, on a proposé de substituer, dans cette recherche, à l’acide acétique que j’avais employé, l’acide citrique que sécrètent les racines des végétaux ; l’expérience a montré un accord remarquable entre les prévisions déduites de l’analyse du sol par cette méthode, et les résultats obtenus de l’emploi des superphosphates. Annales agronomiques, tome XX, p. 291, juillet 1894.