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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/941

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LES REVUES ETRANGÈRES

REVUES ANGLAISES

Littérature et critique : les derniers articles de Waltor Pater. — Le centenaire de Gibbon. — Trois poètes : Collins Keats, Boddoes. — Études diverses.

Dans le même temps où la France perdait le plus puissant de ses poètes, l’Angleterre a perdu le plus fin, le plus doux, le plus élégant de ses prosateurs. Non pas certes que je prétende opposer M. Walter Pater à Leconte de Lisle, ni pour la valeur littéraire de son œuvre, ni pour son importance historique. Mais parmi tous les écrivains anglais contemporains, depuis que Tennyson est mort et que M. Ruskin a cessé d’écrire, c’était le seul qui gardât le souci du style, qui traitât toute œuvre littéraire comme une œuvre d’art, qui prît autant de peine pour exprimer que pour penser sa pensée. Peut-être même a-t-il poussé trop loin ce goût de la perfection dans la forme ; je veux dire que peut-être, à force de nuancer, d’orner, de vernir ses phrases, il leur a donné par instans une apparence affectée et bizarre ; car il n’avait point, comme M. Ruskin, une âme lyrique, ni ce grand souffle qui emporte tout.

Et peut-être aussi joignait-il à ce noble goût de la perfection un amour exagéré de l’originalité, qui le portait à ne vouloir jamais penser ni écrire comme avaient fait d’autres avant lui. J’ai rendu compte ici même, autrefois, de son grand roman philosophique : Marius l’Épicurien. Je crains que mon compte rendu n’ait paru ennuyeux ; et je crains que la faute n’en ait été en partie au roman, où manquait trop de ce qui assure, d’ordinaire, l’intérêt d’un roman. L’intrigue y était trop lâche, les caractères trop indécis, la thèse philosophique trop malaisée à saisir. M. Pater avait trop cherché à écrire un livre qui ne