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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/958

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plus simple, il passe à Tourcoing. S’il ne s’y se sent pas encore en sécurité, il n’a pas à aller loin : les portes de Roubaix lui sont ouvertes. Une fois là, il n’a plus rien à craindre ; le maire le couvre de son autorité tutélaire. Si le préfet du département écrit au maire pour lui demander de surveiller le malfaiteur, le maire ne répond pas, ou il répond qu’il s’agit d’un homme parfaitement tranquille et inoffensif. Et les choses se passent ainsi, bien qu’à des degrés moindres, dans toute la France. Les anarchistes connaissent parfaitement les villes où ils sont assurés de trouver un refuge contre la persécution de la police, parce que la police y est paralysée entre les mains du maire. Il y a aussi des villes où des municipalités successives ont nommé des agens d’opinions et d’humeurs différentes, les uns socialistes, les autres conservateurs, et certains quartiers changent tout à fait de caractère, le soir surtout, suivant que ceux-ci ou ceux-là sont de service. N’oublions pas de dire, en effet, que si les commissaires de police sont nommés par le ministre de l’Intérieur, les agens inférieurs le sont par les maires. Est-ce que le maintien de cet état de choses peut être toléré plus longtemps ? est-ce qu’il ne suffit pas de le signaler pour qu’il y soit porté remède ? Faut-il rappeler ce qui a été affirmé par divers journaux sans rencontrer de contradiction, à savoir qu’un mois avant l’assassinat de M. Carnot à Lyon, une perquisition a été faite chez Caserio dans une ville qu’il est inutile de nommer, et qu’elle a abouti à la constatation qu’on avait affaire à un anarchiste des plus dangereux ? Il était étranger : rien n’était plus simple que de l’expulser. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait ? Parce que le maire, ayant trouvé dans les papiers de l’anarchiste italien le nom de quelques-uns de ses propres amis, s’est empressé d’arrêter et d’étouffer l’affaire. Le commissaire central n’en a ni référé à la préfecture, ni saisi le parquet. Caserio est resté libre de vivre et de correspondre avec les compagnons. On connaît la suite.

M. Dupuy a donc bien fait de promettre une réforme. Cette réforme est compliquée dans certains détails d’application, mais les lignes essentielles en apparaissent très simples. L’unité de la police de sûreté dans toute la France doit être le but. Pour cela, il faut enlever aux maires, qui ne sont plus des fonctionnaires de l’État, la partie de leurs attributions qui se rapporte à cette police. Les agens de la sûreté générale doivent être nommés par le gouvernement, hiérarchisés entre eux et rattachés à la même administration que la police de Paris. On donnera d’ailleurs à cette administration le nom qu’on voudra. Il y aura évidemment des rapports à établir entre les agens de la sûreté et les maires, mais sans que jamais ceux-là dépendent de ceux-ci. Tous seront payés par le budget de l’État, bien entendu avec une contribution obligatoire de la part des communes sensiblement égale à ce qu’elles dépensent aujourd’hui pour le même objet, car il ne faut pas que