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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 124.djvu/99

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pu retenir aucune notion d’histoire naturelle[1]. Et cependant ce Touranien était déjà d’une race relativement supérieure. Les faits de ce genre, si souvent observés, tiennent à ce que l’instruction première s’adresse à des facultés encore demi-sensitives ou demi-imaginatives, à une intuition plus ou moins spontanée et voisine de l’instinct ; or, ces facultés représentent l’héritage commun de toutes les races humaines, y compris celles qui sont aujourd’hui au-dessous des autres. Mais le surplus exige des cerveaux déjà façonnés par les siècles : c’est l’héritage particulier de la civilisation, c’est le résultat de la sélection sociale en faveur des têtes les mieux douées. Une loi physiologique veut que les types d’organisme les moins développés demandent moins de temps pour arriver à leur forme complète ; Spencer a montré que cette loi s’applique aux races humaines. Un cerveau plus volumineux, plus lourd et plus complexe demande plus d’années pour son entière formation ; aussi l’homme arrive-t-il moins vite à maturité que les autres mammifères, l’homme civilisé que le sauvage, le blanc que le nègre. De même, la puberté arrive plus tôt chez les races inférieures. C’est la preuve d’une nature moins plastique, ayant une rigidité et une immutabilité prématurées. Selon M. Reade, dans l’Afrique équatoriale, les enfans nègres ont « une précocité absurde. » Burton dit que les Africains de l’ouest sont d’une vivacité d’esprit remarquable avant l’âge de la puberté, comme si cette époque physiologique, de même que chez les Hindous, troublait leur cerveau. Chez les Australiens, la vigueur mentale semble décliner après l’âge de vingt ans et paraît à peu près éteinte vers l’âge de quarante. Loin de s’extasier devant les facultés précoces et les prodiges des jeunes nègres, il faut au contraire en concevoir de l’inquiétude. « Le noir, a-t-on dit, ne gagne pas en vieillissant. » Toutefois, l’expérience prouve deux choses : la première, c’est que l’intelligence des sauvages est, au fond, de même essence que la nôtre, puisqu’elle est susceptible de la même éducation fondamentale ; la seconde, qu’une série plus ou moins longue de générations est nécessaire pour faire acquérir au cerveau la même capacité, à l’intelligence la même étendue que chez les races civilisées.

Remarquons en outre que, parmi les sauvages, il n’y a pas seulement des primitifs, mais encore des dégradés beaucoup moins éducables. Si pauvre qu’ait été le développement des sauvages à travers les siècles, ils en ont eu un cependant. Par exemple, leurs préjugés et leurs superstitions, en s’accumulant, sont devenus innombrables. Parfois les circonstances défavorables du milieu ont augmenté progressivement leur férocité ; certaines tribus, qui

  1. La disparité des races humaines. Paris, Alcan.