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vaudra-t-il plus que 10 francs d’or en valeur vraie ? L’argument tourne aisément à l’absurde.

Toutes les notions et relations de prix sont ainsi troublées ou faussées, et la monnaie ne peut plus remplir intégralement son rôle de commune mesure entre les produits, les services et les paiemens. Qui dit en effet commune mesure dit mesure unique, et il y a ici deux mesures, lesquelles restent économiquement distinctes et indépendantes l’une de l’autre, et ne sont liées ensemble artificiellement que par un accord nominal.

La valeur du numéraire métallique, ou plutôt son pouvoir d’achat varie non seulement d’après la quantité du numéraire même, mais encore d’après la quantité plus ou moins grande des produits échangeables contre espèces. Le quintal de blé coûte telle somme aujourd’hui ; il coûtera demain une somme supérieure. Sera-ce le numéraire qui aura baissé ou le blé qui aura haussé de valeur, peu importe après tout, au point de vue pratique du paiement à effectuer, s’il n’existe qu’un seul étalon monétaire. Mais s’il y en a deux, liés ensemble comme des frères siamois, les hausses et les baisses respectives pouvant être différentes pour chacun séparément, la question devient singulièrement délicate et compliquée. L’abondance ou la rareté d’un produit pourra correspondre, par exemple, à la rareté de l’or et à l’abondance de l’argent, ou inversement, de façon à provoquer un écart de prix très marqué avec un métal et à peine sensible avec l’autre. Pourtant le même prix devra être payé avec tous les deux.

Qui songe aujourd’hui à garantir aux monnaies diverses un certain pouvoir d’achat relativement aux produits qu’elles paient ? On l’a essayé jadis par la loi du maximum. Mais cette loi néfaste, édictée en un moment de terrible crise révolutionnaire, a soulevé d’unanimes protestations et n’a jamais été complètement observée, même sous la menace des peines les plus rigoureuses. La solidarité légale, ou l’équivalence proportionnelle obligatoire, admise entre les deux monnaies métalliques, est-elle pourtant autre chose qu’une sorte de loi du maximum, journellement appliquée en faveur de la moins bonne des deux ? Nul système monétaire solide ne peut avoir pour base un rapport fixe de valeurs différemment variables, c’est-à-dire une pure chimère. Selon le mot connu, on ne s’appuie que sur ce qui résiste. Comment étayer un édifice durable sur ce qui n’existe même pas ? Les seules réalités permanentes en pareille matière sont le titre et le poids. Tout le reste n’est que fragilité, fiction et mensonge.

Au contraire, si la rupture du lien factice qui unit les deux