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transactions internationales. À supposer même que cet avantage puisse être durable, est-ce sérieusement qu’on nous le donne en exemple ?

Malgré toutes les facilités de viremens offertes au commerce, pour régler ses différences, les banques et les grandes entreprises éprouvent la nécessité impérieuse d’avoir de fortes réserves métalliques, afin d’appuyer leur crédit sur un fond solide. La précaution devient illusoire en partie, dès que le numéraire encaissé a perdu sa pleine valeur. Notre vieille Europe, notablement déchue par la concurrence universelle, est encore aujourd’hui la banque du monde entier. Son crédit repose sur la masse imposante de ses capitaux, accumulés au prix de prodigieux efforts depuis soixante-dix ou quatre-vingts ans. L’excellence inattaquable de ses monnaies peut seule lui garantir l’unique supériorité matérielle incontestée qui lui reste.

Nous sommes exposés aussi à des périls que les États-Unis ne connaissent pas, et nous paierions peut-être beaucoup plus cher les erreurs d’un bimétallisme imprudent. Si la guerre, éclatant soudain avec son formidable appareil moderne, obligeait l’Europe à jeter sur les marchés de l’univers toutes ses ressources disponibles, les peuples surpris dans une fausse situation monétaire s’apercevraient trop tard que l’habitude d’échanger en famille des pièces blanches contre des pièces jaunes, d’après un rapport nécessairement inexact, est un trompe-l’œil et constitue à la longue le jeu le plus périlleux. Au moment même où la bonne monnaie deviendrait aussi indispensable pour eux que la bonne poudre, leur stock métallique d’argent perdrait la moitié de sa valeur.

Méditons à temps ces paroles d’un éminent économiste : « C’est par l’estimation faite au dehors, et non par l’estimation faite au dedans de ses propres frontières, qu’un peuple doit juger la valeur vraie de ses monnaies nationales. »


V

Sous sa forme actuelle, le bimétallisme paraît bien malade. Faut-il s’empresser de conclure que tout emploi simultané des deux métaux est désormais condamné ?

Notre agriculture, dont les intérêts nous touchent spécialement, invoque d’excellens motifs pour conserver l’usage des espèces blanches adoptées par tant de pays, soit seules, soit concurremment avec l’or. Mais, en fait de moyen, elle persiste à réclamer le maintien du rapport conventionnel, plus ou moins modifié, ce qui nous ramène au point de départ.