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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/215

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lettres n’y abondent point, parce qu’on n’y coudoie pas des Renan et des Taine. Vous retrouveriez tout au fond de cette conception courante le préjugé puéril de Flaubert contre les grands industriels de Rouen.

Il s’agit ici de traiter des affaires pratiques ; et l’on peut affirmer, sans chauvinisme exagéré, qu’aucun Parlement en Europe n’est mieux outillé à cette fin que le Parlement français. Je ne parle pas seulement des quelques hommes qui sont les vrais moteurs de la machine législative ; peu connus parfois du public, parce qu’ils ne prononcent pas de discours violens, ils jouissent dans les couloirs d’une autorité légitime, due à leur grande expérience des affaires, à leur labeur incessant dans les commissions. A côté d’eux foisonnent des gens compétens, instruits dans une spécialité. Le hasard des conversations de couloir vous met en rapport avec un collègue : il n’a jamais fait parler de lui ; vous le teniez pour un député quelconque, vous le jugiez défavorablement sur ses votes ; vous êtes tout surpris de découvrir un esprit judicieux, équitable, plein de connaissances, et de vous plaire à un entretien attachant, comme tous ceux où l’on apprend beaucoup. Qu’il y ait à la Chambre une réunion de capacités, tout homme de bonne foi s’en rend bientôt compte, ne fût-ce qu’en constatant sa propre infériorité dans cent matières où il trouve des maîtres et la nécessité pour lui de s’instruire à leur école. Mais le talent de parole ? dira-t-on. O peuple du baccalauréat et du grand concours, qui attend toujours les plus utiles services de l’élève signalé par la meilleure dissertation ! Le talent de parole ne manque pas à la Chambre ; mais je prise davantage, pour la conduite de nos affaires, certains mérites solides qui ne sont pas les mieux disans, qui ont forcé mon estime sans jamais chercher à surprendre mes applaudissemens.

Comment ces mérites individuels, révélés dans les couloirs, s’évanouissent-ils par enchantement dès que le tas se reforme, dès que l’on se retrouve dans l’enceinte du sanctuaire ? Là, je renonce à plaider contre l’évidence, contre l’unanimité des jugemens : nous n’offrons aux témoins de nos séances que le choix entre deux diagnostics, celui de la folie furieuse, celui de la paralysie générale. Pourquoi ces forces isolées se perdent-elles aussitôt qu’elles se combinent ?

On définirait assez exactement notre nation une race de bon sens, qui a le théâtre dans les moelles. Mettez en scène les meilleurs : adieu le bon sens, la sincérité, la juste appréciation des choses, toutes les qualités dont on faisait état dans la coulisse ! M. Sarcey expliquerait mieux que moi comment se crée, dans une salle de spectacle, l’âme collective qui transforme en peu