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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/593

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primitifs, quand un seul coup d’œil jeté sur les amples poitrines, les rondes épaules et les bouches sensuelles des femmes de Rossetti évêque toutes les opulences et toutes les splendeurs des renaissans. On y a vu un réalisme intransigeant, uncompromising truth, sans le mélange d’aucun élément imaginatif, mais c’est justement l’élément imaginatif qui frappe dès qu’on regarde une des grandes œuvres de l’école : la Lumière du monde de Hunt, le Rêve de Dante de Rossetti. On y a vu alors un idéalisme transcendant, une branche de la grande renaissance gothique et religieuse, qu’on a nommé le mouvement d’Oxford, et l’on a fait des rossettistes les collaborateurs inconsciens sans doute, mais zélés et fidèles de Kemble, de Newman et de Pusey. Cela peut être, mais la définition du pré-raphaélisme n’en est guère plus avancée, car vouloir caractériser un tableau pré-raphaélite en vous disant qu’il s’inspire du mouvement d’Oxford, c’est proprement tenter d’expliquer le système d’une serrure en vous décrivant les opinions politiques du serrurier. Les affinités qui rattachaient les rossettistes au puseisme eussent pu être beaucoup plus fortes et cent fois plus évidentes sans pour cela conduire Hunt à peindre sur toile blanche ou Millais à proscrire le bitume de ses préparations. Il fallait quelque chose de plus précis et de plus adéquat à la matière. Alors on réduit le pré-raphaélisme à un ou deux procédés d’étude, tels que la recherche minutieuse du détail infinitésimal et la substitution du modèle vivant au mannequin, avec cette liberté de choisir pour une vierge, un Jésus, un héros, le modèle que l’on trouvait le plus propre à en donner l’idée, mais avec cette obligation, une fois le modèle choisi, de s’y tenir expressément et de le copier scrupuleusement, sans y mêler les traits de quelque autre figure, ni l’idéaliser de quelque souvenir. Mais cette définition manque totalement de comprendre Madox Brovvn et Rossetti parmi les pré-raphaélites. Car Madox Brown n’a jamais admis que l’artiste s’interdît la fusion de plusieurs modèles, et Rossetti, sauf dans deux ou trois occasions, a passé sa vie à peindre ses figures d’après un mannequin ou même d’après rien du tout, out of his own consciousness. Quant à faire des pré-raphaélites des Meissoniers d’outre-Manche, des entomologistes de la peinture, c’est assez bien caractériser les premières œuvres de Millais et de Hunt, mais c’est complètement oublier celles de Rossetti. Lorsqu’on est à la National Gallery et qu’on voit la Beata Beatrix au milieu des tableaux des académiciens de 1850, des adversaires du pré-raphaélisme, ce qui frappe c’est précisément l’absence de détails dans l’œuvre du pré-raphaélite et leur abondance dans celles des académiciens. Enfin, las