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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/647

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l’agriculture ou à l’industrie. Pour le sucre destiné aux vendanges, l’ingéniosité des savans se trouva en défaut ; un an se passa en recherches vaines : on ne découvrit aucune altération efficace ; et le fisc, pressé par les viticulteurs d’appliquer la loi, dut se contenter, comme moyen de contrôle, de faire verser le sucre dans les moûts en présence des agens de la régie.

La prime à la fraude était considérable : l’impôt de GO francs, par quintal vendu chez les épiciers, étant abaissé à 24 francs pour le sucre livré aux vignerons, il suffisait à un intermédiaire indélicat de détourner 100 kilos de leur emploi vinicole pour se procurer un gain illicite de 36 francs. L’administration découvrit ainsi, il y a quelques années, une fraude colossale, — elle ne s’élevait pas à moins de 900 000 francs, — commise à son préjudice par un courtier de Paris, qui fut condamné par contumace. Le Trésor finit par rentrer dans son dû ; mais un négociant honnête, qui avait imprudemment cautionné l’auteur de ces expéditions fictives, fut ruiné.

Le gouvernement se préoccupe aujourd’hui de restreindre les faveurs accordées au sucrage ; mais les vins de sucres n’attendent pas qu’on les proscrive : discrètement, ils s’éclipsent d’eux-mêmes à mesure que leur présence cesse d’être utile. La quantité fabriquée en 1892 n’avait plus été que de 2 700 000 hectolitres : elle est tombée à 1600 000 hectolitres en 1893. Pour peu que la récolte de 1894 soit passable, on calcule que le sucrage se réduira de moitié. Aux entrées de Paris il a été déclaré, en 1891, 200 000 hectolitres de vins sucrés ; en 1892, 117 000 hectolitres, et en 1893 douze cents hectolitres seulement. La subite faiblesse de ce dernier chiffre provient peut-être de l’impuissance où se trouve le législateur, en présence des nombreux ricochets commerciaux du vin, d’obliger les vendeurs à faire connaître à la régie la nature exacte de leurs marchandises.

La loi récemment votée pour punir le mouillage et l’alcoolisation, deux autres formes du travail des vins, ne sera pas sans doute beaucoup plus efficace. Le mouillage est le mode le plus économique, le plus élémentaire et par conséquent le plus ancien, comme je l’ai dit plus haut, de multiplication du liquide. Il est d’ailleurs inoffensif et n’a de conséquence fâcheuse, ni pour l’hygiène, ni pour la bourse des consommateurs. C’est pourquoi une minorité imposante, dans les Chambres, s’est refusée à le frapper de pénalités rigoureuses, surtout lorsque ce baptême du vin est connu des acheteurs. Or il ne peut en être ignoré. Dans la plupart des cabarets sont apposées des affiches, rédigées à peu près en ces termes : « Vin pur : 1 franc — Tous les vins vendus au-dessous