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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/746

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Quel beau thème il allait avoir à développer devant le roi de France. La perpétuité de la monarchie française, et sa sécurité, la consolidation de la paix, la gloire et l’intérêt du roi, le meilleur établissement des princes de sa maison, l’augmentation du nombre de ses amis et leur agrandissement, la protection de notre sainte religion, la juste vengeance à prendre par suite de la défection répétée de la Prusse peuvent servir à Votre Excellence comme mobiles à l’appui de ses propositions… J’espère que la divine Providence réserve à Votre Excellence de remplir pleinement la mission dont je n’ai pas eu occasion de m’acquitter à Paris[1]. »

Enfin l’envoi était complété par un billet autographe donnant à l’expédition tout entière un caractère de solennité : « Je promets, foi d’impératrice et de reine, — écrivait Marie-Thérèse de sa propre main, — que de tout ce qui sera proposé de ma part au roi Très-Chrétien par le comte de Stahremberg il ne sera jamais rien divulgué et que le plus profond secret sera gardé à cet égard et pour toujours, soit que la négociation réussisse ou ne réussisse point, bien entendu néanmoins que le roi Très-Chrétien donne une déclaration et promesse pareille à celle-ci. Fait à Vienne le 21 août 1755[2]. »

Mais alors à qui confier ce dépôt placé sous le sceau d’une double parole royale ? Et pour commencer, par où aborder Louis XV ainsi, sans bruit et dans l’ombre ? Il ne fallait songer à aucun des ministres. Par goût ou par peur, tous étaient prussiens dans l’âme, autant aurait valu parler à Frédéric lui-même. Versailles, où nul esprit de discipline ne régnait plus, où toutes les langues étaient déliées et toutes les oreilles ouvertes, était peut-être le lieu du monde où un secret était le plus difficile à garder. Il y avait pourtant un confident naturellement désigné, puisqu’il était intéressé de sa personne à un projet qui devait lui assurer une couronne et qu’il avait déjà dans l’intimité du roi des entrées qui, bien que la cause en fût mystérieuse, étaient assez publiques pour qu’on en pût faire usage sans attirer l’attention. C’était le prince de Conti ; aussi c’est bien à lui que Stahremberg eut tout d’abord l’ordre de s’adresser, et il eut même l’autorisation de faire savoir au prince que, toutes les manœuvres qu’il pratiquait déjà en Pologne étant parfaitement connues, il pouvait accepter l’entretien, sans craindre de tomber dans un piège et d’être amené à faire des révélations compromettantes. Ce ne fut qu’à la réflexion que Kaunitz se souvint que Louis XV avait une relation plus intime encore que celle

  1. Marie-Thérèse à Stahremberg, 21 août 1755 (Archives de Vienne). — Kaunitz à Stahremberg, 21 août 1755 (Archives de Vienne).
  2. D’Arneth, t. IV, p. 550, 551.