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Si encore avec ces dépenses énormes de première installation, avec cet accroissement considérable de dépenses annuelles, on eût eu la certitude d’atteindre le but ! Mais rien n’était moins certain. Le dévouement n’eût certes pas fait défaut aux professeurs, ni la compétence. Pourtant c’est une assez mauvaise condition que d’être physicien pour enseigner la chimie, et pour enseigner la physique que d’être chimiste. Dans ce domaine rien ne vaut la spécialité des recherches, l’ardeur qu’elle inspire, l’ascendant qu’elle donne. Or, dans l’enseignement secondaire, qu’on soit physicien ou chimiste de goût et de travaux, on est professeur de physique et de chimie, et, à ce titre mixte, on enseigne également, suivant les besoins du programme, le matin la physique et le soir la chimie. De même pour la zoologie et pour la botanique. En outre, il n’apparaît pas que le lycée soit, pour cette sorte d’enseignement, le milieu le plus favorable, le plus excitant, le plus suggestif. Pour se pénétrer de l’esprit des sciences expérimentales, il ne suffit pas de leur faire de périodiques et intermittentes visites ; il faut vivre dans leur atmosphère, au milieu de leur outillage, de leurs engins si souvent renouvelés, les voir sans cesse en action, être en contact constant avec ceux qui les cultivent. Si bien aménagée, si bien desservie qu’elle soit, la salle de manipulations d’un lycée, ouverte seulement à de certaines heures, et à laquelle on se rend on sortant de la salle d’études ou de la salle de classe, reste toujours une salle d’exercices : elle n’est pas l’atelier vivant de la science.

Toutefois ce n’eût été là que le moindre inconvénient. Si l’on se fût décidé à décréter l’incorporation du nouvel enseignement dans l’enseignement secondaire, il n’est pas improbable qu’à l’exécution on eût reculé devant l’énorme dépense et cherché à s’en tirer aux moindres frais. Au lieu de créer tous les emplois nécessaires, on eut eu recours aux expédiens. Chaque professeur de lycée doit un nombre d’heures déterminé par semaine. Souvent son service normal reste en deçà de ce nombre. On l’eût complété par le nouveau service. Ou bien, aux professeurs donnant déjà toutes les heures réglementaires, on eût demandé, en échange d’un complément de traitement, quelques heures supplémentaires ; toutes conditions également mauvaises pour le succès d’un enseignement, car un professeur met surtout son ardeur à son enseignement principal, à celui dont il est seul responsable, et le surplus court risque de n’être guère à ses yeux qu’un accessoire. Ainsi composé de pièces et de morceaux, le nouvel enseignement eût manqué d’homogénéité, d’unité, d’inspiration commune. Il n’eût pas eu probablement non plus à un degré suffisant le caractère pratique et expérimental ; excessive eût paru la