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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 125.djvu/855

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Palestrina, les chanteurs n’admettaient pas qu’on des œuvres de plus longue haleine un pareil résultat pût être obtenu.

Enfin on résolut de confier à Palestrina la composition d’une messe conforme aux conditions exigées. L’œuvre en cas de succès réhabiliterait la musique religieuse, dont elle fournirait pour l’avenir le modèle et le type ; en cas d’échec au contraire, elle en déciderait la condamnation et le bannissement. Palestrina tenait donc en ses mains le sort de son art bien-aimé. Pour plus de sûreté il écrivit trois messes, sur lesquelles le biographe italien nous renseigne. Le 28 avril 1565, toutes les trois furent exécutées devant la commission réunie à cet effet dans le palais du cardinal Vitellozzo. La troisième parut supérieure aux deux autres et de tout point admirable ; les chanteurs pontificaux furent invités à ne plus désormais chanter que des œuvres de ce style : la musique d’église était sauvée.

Les prélats ayant rendu compte de leur mandat au pape, celui-ci souhaita d’ouïr le chef-d’œuvre qu’ils lui vantaient, et, le mardi 19 juin 1565, le cardinal Borromée officiant solennellement à la chapelle Sixtine, en présence du pape, la messe de Palestrina fut exécutée pour la première fois. Le pontife, racontent les mémoires du temps, la trouva si belle, qu’il s’écria : « Voilà les harmonies que l’apôtre saint Jean entendit dans la céleste Jérusalem, et qu’un autre Jean vient de faire entendre à son tour dans la Jérusalem de la terre. »

Telle est la version légendaire, mais tenue très longtemps pour authentique, de cet épisode, un des plus importans de la vie de Palestrina et de l’histoire musicale du XVIe siècle. Le docteur Haberl l’a formellement contredite, et, textes en main, convaincue d’inexactitude[1]. Il a établi premièrement que la commission, la fameuse commission de 1564, n’avait pas le moins du monde été constituée pour s’occuper spécialement des réformes musicales ordonnées par le concile de Trente. Aussi bien le concile, ainsi que les procès-verbaux en l’ont foi, ne s’était-il lui-même occupé que très incidemment et en termes généraux des susdites réformes[2]. En outre Baini appuyait son dire sur un bref pontifical ou motu proprio du 2 août 1564, nommant la commission cardinalice. Or ce motu proprio, que le docteur Haberl cite intégralement, ne contient pas un mot relatif à la musique. Il enjoint seulement

  1. Cacilien-Kalender und Fortsetzung desselben als « Kirchenmusikalisches Jahrbuch » herausgegeben von Dr Fr. X. Haberl ; XVIIe Jahrgang ; 1892.
  2. Voici les propres termes de la décision du concile : Ab ecclesiis vero musicas eas, ubi sive organo, sive cantu lascivum aut impurum aliquid miscetur, item sæculares omnes actiones, vana atque adeo profana colloquia, deambulationes, strepitus, clamores arceant, ut domus Dei vere domus orationis videatur ac d’ici possit (22e session, 17 septembre 1562).