Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

présent je veux finir par les cimes, et j’écris le roman de la haute montagne, des quelques-uns qui vivent tout là-haut.

Ce que je connaissais des œuvres de M. de Pereda m’avait appris qu’il était un grand artiste, un styliste achevé et un écrivain fécond à la fois. J’avais présente à l’esprit cette description d’un chêne-rouvre, par où débute El sabor de la Tierruca, et qui tient trois pages, des plus fortes qu’on puisse lire. En voyant l’homme, mon impression première s’affirmait. Oui, j’avais devant moi, et j’en ressentais pour lui une sorte de respect ému, un de ces esprits d’élite, faits pour voir, pour comprendre et pour révéler à lui-même le monde qui s’ignore, un de ceux, plus rares encore, qui, possédant cette richesse, n’en ont pas abusé.

— Je sais que vous êtes très aimé, lui dis-je, et c’est tout simple. Vous vivez, dans ce cabinet de travail, au milieu de souvenirs de vos admirateurs. Il y en a qui sont un hommage bien délicat, et qui doivent vous toucher : ce grand tableau, par exemple ? Une scène de Sotileza, n’est-ce pas ?

Nous traversâmes ensemble l’appartement. Au fond, occupant presque tout le panneau, une grande marine représentait une barque, lancée par dix rameurs, gouvernée par un vieux pêcheur debout à l’arrière, et qui franchit les deux laines de la barre de Santander. Au bas, un cartouche portait ces trois mois : Jésus, y adentro !

— C’est un présent de la ville de Santander, me dit M. de Pereda, qui me fut offert, par souscription, quand je publiai Sotileza. Vous voyez, l’homme de barre, le vieux, qui a la responsabilité de la manœuvre, vient de jeter l’invocation traditionnelle, à laquelle ne manquent pas nos marins, même aujourd’hui, par beau ou par mauvais temps ; elle est difficile à traduire, elle signifie, à peu près : « Jésus ! et confiance maintenant, nous entrons au port ! » Voulez-vous voir un autre souvenir donné à l’occasion du même roman ?

Sur un chevalet, M. de Pereda désigne un plat d’acier, artistement ciselé, dans un encadrement de bois noir et de velours cramoisi.

— Je tiens beaucoup à cet objet, monsieur, car il me rappelle, mieux que tout autre, la province que j’ai décrite. La petite ville de Torrolavega, la plus voisine de Polanco, et ma capitale, à moi, me l’a donné. Regardez : les titres de mes romans sont gravés au trait, sur les marges, entre les portraits de quatre écrivains, Cervantes, Calderon, Garcilazo et Quevedo, dont les trois derniers sont nés dans cette province ; le bois, sombre comme l’ébène, a été trouvé dans des fouilles, près d’ici, parmi des débris