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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/209

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réapparaissant, le front chargé de promesses et de menaces…

Le Requiem, le chant de paix éternelle et de repos, tombait avec une signification si juste sur le vieux maréchal, sur cette longue vie harassée, promenée en combattant à travers tous les pays qu’évoquaient les inscriptions : bivouacs d’Afrique, tranchées de Russie, plaines d’Italie. Il l’avait si bien gagné, le repos que lui promettaient les voix et l’orgue ! Il allait en jouir, l’aïeul, au milieu de ses camarades déjà couchés sous ce pavé. Car tous ceux qui l’entouraient encore dans l’église, même les têtes blanches, c’étaient pour lui des enfans, des élèves. Plus un compagnon ! Un seul aurait pu être là : on cherchait auprès du cercueil de Canrobert, comme on l’avait cherché naguère auprès du cercueil de Mac-Mahon, le dernier Africain, le vainqueur d’Abd-el-Kader. Il n’y était pas, ce vainqueur n’ayant plus d’habit et d’épée pour venir enterrer comme il convient ses camarades d’Afrique. Inutile, insondable sottise ! Combien de choses futures s’expliqueront par cette seule aberration, qu’il ne se soit pas trouvé en France un chef, militaire ou civil, pour tracer cet ordre si simple : « Le général Henri d’Orléans se mettra demain en tenue, il portera un cordon du poêle aux obsèques de son camarade Canrobert, il défilera devant le corps à son rang de promotion dans l’état-major général. » — Notre pays d’imagination et de cœur eût applaudi si fort celui qui aurait donné cet ordre ! Mais peut-être ne le donne-t-on point par crainte de ces applaudissemens : un homme qui aurait compris notre France serait si inquiétant pour les autres…

Oublions ces choses, laissons mourir ce qui meurt. C’était la leçon du chant de paix, du Requiem qui descendait toujours plus ample, faisait taire tous les autres bruits, enveloppait plus doucement, plus étroitement le dernier maréchal. Tout semblait dire et tous semblaient penser : « C’est bien le dernier ! » — Tous, sauf ces enfans formés en carré, dont la fière mine nous frappa à la sortie, dans la cour des Invalides. Ils arrêtaient les regards, avec la flamme d’espérance qu’ils mettaient dans ce deuil, dans ce convoi où tous les autres voyaient le symbole de la fin d’un temps. C’est leur droit et leur force de ne pas nous croire, de ne pas nous entendre. Que Dieu leur donne raison, s’ils sont rentrés le soir à Saint-Cyr en riant de nos augures, en raillant les vieux imbéciles qui pensaient enterrer le dernier maréchal de France !


EUGENE-MELCHIOR DE VOGUE.