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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/294

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solution s’impose. Venise paiera la paix de la République française et la constitution des républiques italiennes. Le nom de république, que porte le gouvernement de Venise, n’est pas fait pour l’arrêter. Il sait que le Directoire déteste autant les oligarques qu’il admire et recherche le roi de Prusse. Après Rome, il n’y a point en Italie de gouvernement que les Directeurs voueront, avec plus de mépris, à l’anéantissement, après l’avoir condamné avec plus d’avidité à l’exploitation. Il connaît, mieux que personne, « les torts réels et graves de Venise ». Le moment venu de châtier cette « puissance perfide », il en sera de cette république comme du pape : « Le droit de la guerre, et les circonstances politiques décideront alors », ont dit les Directeurs à propos de Rome. Ils sont prêts, comme l’était le Comité ; de salut public à partager le Portugal avec l’Espagne. Les habitans des États vénitiens ne sont point d’une autre espèce ; ils ne jouissent point de grâces d’état. Bonaparte s’occupe donc de préparer les circonstances.

Sous prétexte de rompre des menées dangereuses pour la sûreté de son armée, il occupe une partie des dépendances de Venise sur la terre ferme. Il y laisse les émissaires lombards agiter les bourgeois des villes et propager la révolution. Les oligarques laissent le clergé fanatiser le peuple des campagnes et prêcher le massacre des Français. Entre les Croates qui les ravagent d’un côté, les républicains qui les dépouillent de l’autre, effarés, énervés, n’osant ni s’armer, de peur de représailles, ni désarmer par crainte d’une surprise, les gouvernans de Venise traînent, dans les incertitudes et les duplicités, une neutralité que personne ne considère, parce qu’elle est fallacieuse, et que personne ne respecte parce qu’elle est inerte. L’occupation de Bergame les consterne. Bonaparte est sûr que, pour un temps, ils ne bougent pas, et il a désormais avec eux un procès ouvert.

Savait-il, en agissant de la sorte que, selon l’expression de Charles Delacroix, aucune compensation « ne plairait davantage » à la cour de Vienne ; que Venise était dans les prétentions de cette cour et dans ses convoitises ; que l’Autriche nourrissait contre cette République des « droits anciens » et se préparait, comme lui, des griefs nouveaux ; qu’elle avait déjà trafiqué de Venise avec la Russie ; que l’arrangement qu’il offrirait à l’empereur pour le faire sortir de la coalition était l’un de ceux que Catherine II avait employés pour l’y retenir ? Rien ne permet de le supposer. Les projets de 1782 et le traité du 3 janvier 1795 n’ont été dévoilés que très récemment, et le secret n’en avait alors percé nulle part. Mais Bonaparte pressentit cette