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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/303

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Autrichiens qui, une fois entrés dans les Légations, n’en sortiront plus ; il se méfie du Bourbon de Naples qui n’offre des secours que pour avoir un motif d’occuper Bénévent ; il redoute de trouver ses prétendus alliés plus exigeans que l’ennemi même. Cet ennemi d’ailleurs passera comme l’orage, et les alliés demeureront ; ce qu’on livrera de terre aux Français, les Français l’abandonneront tôt ou tard, comme ils ont fait au temps de Charles VIII et de Louis XII ; ce que les Autrichiens et les Napolitains prendront, étant de bonne prise, impériale et royale, Rome ne le recouvrera jamais. Cependant l’excès de la peur finit par l’emporter, et Pie VI consent à fuir. Mais à peine les ordres sont-ils donnés qu’arrivent les émissaires de Bonaparte ; leurs insinuation s’offrent à Pie VI un prétexte pour revenir au parti qui convenait le mieux à sa faiblesse. Il demeure, avouant ingénument « qu’il se sentait soulagé » d’un grand poids, car il partait la corde au cou ». Il écrit, le 12 février, à « son très cher fils le général Bonaparte », lui envoie son salut apostolique avec sa bénédiction, et lui annonce des plénipotentiaires.

Bonaparte les reçoit le 19, à Tolentino, debout, entouré de son état-major. Il exige la cession des Légations et d’Ancône, la renonciation à Avignon et au Comtat, la rupture de toute alliance avec les ennemis de la République, la fermeture des ports aux Anglais, le paiement de quinze millions dus encore en vertu de l’armistice, quinze autre millions, des chevaux, 200 000 livres et une amende honorable pour le meurtre de Basseville, la livraison des objets d’art et manuscrits promis par l’armistice, le maintien de l’Académie de France, le traitement de la nation la plus favorisée en matière de commerce, la livraison à la France du général autrichien Colli et le bannissement du cardinal Albani. À ces dernières clauses, déshonorantes pour eux, les Romains déclarèrent qu’ils aimaient mieux rompre que d’y souscrire. « Soit, s’écria Bonaparte, le traité sera rompu, et ce sera par votre faute ! » Devant eux il donna l’ordre aux troupes de se mettre en marche. Mallei se jette à ses pieds, Bonaparte en était venu à ses fins : il était « juge du pape », comme l’avait été Charlemagne. Il avait d’ailleurs le goût de la magnanimité et il en savait le prix ; il possédait cette sensibilité d’Etat qui est la grande séduction des puissans ; il ressentit le frisson de la gloire, il fut ému, il lui convint de le paraître. Il releva le cardinal, renonça à la clause, et le traité fut signé. Bonaparte écrivit au Directoire : « Trente millions valent pour nous dix fois Home, dont nous n’aurions pas tiré cinq millions, tout ayant été emballé et envoyé à Terracine… cette vieille machine se détraquera