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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/365

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aussi le sang chaud… nous ne l’avons que trop…et que l’occasion fait le larron, comme il en a été pour nous… Mais nous avons un knout toujours levé sur la nuque : c’est notre maudite conscience protestante…

— Ne parle pas de conscience, je t’en prie…

— Et on nous a insufflé une dose suffisante de sentiment du devoir.

— Ah ! pourquoi nous gâtes-tu la première heure amicale que nous passons ensemble ? fit-elle.

— Nous n’avons plus à passer ensemble d’heures amicales, répliqua-t-il durement.

« Elle joignit les mains :

— Mon Dieu, je sais… je sais bien. Ce que je disais tout à l’heure, c’était pour forcer ma propre conscience et l’égayer un peu… A quoi nous sert-il de nous plaindre l’un à l’autre de notre commune misère ?

« Il se tut. Ne défendait-elle pas le point qu’il avait lui-même défendu, tandis qu’il se laissait maintenant dominer par la conscience de sa faute, comme elle l’avait été ? Il n’y avait que quelques minutes qu’il ne redoutait rien plus que des doléances, et c’est lui qui les provoquait de nouveau.

— Tu as raison, Lizzie, dit-il, nous devons rester de sang-froid et nous épargner les reproches, car on ne peut rien changer aux fautes anciennes. Mais que l’enfer nous prenne si nous oublions dans quel dessein nous avons conclu ce nouveau pacte de complicité ! »

Léo se débat de son mieux. Mais Félicitas l’enveloppe d’un réseau de séductions nouvelles, qu’elle tisse avec une diabolique habileté. Le point faible de son ami, elle le comprend, c’est ce repentir qui n’est point dans sa vraie nature, qui détend et dissout son énergie. Elle l’exploite : elle aussi, se repent ! et c’est une occasion d’évoquer à tout propos le souvenir de la faute passée. On prie ensemble : cela rapproche. De semaine en semaine, Léo s’attendrit davantage. Une absence d’Ulrich lui enlève son meilleur appui. Il succombe. Et voici que cette seconde faute amène une seconde catastrophe.

Pour pouvoir poursuivre en toute liberté ses plans de séduction, Félicitas avait éloigné son enfant, comprenant bien que la présence continuelle du fils de sa victime eût été pour Sellenthin une solide sauvegarde. Elle a donc envoyé le petit Paul en pension, très loin, oubliant que la terrible Johanna lui avait fait jurer « sur la tête de son fils » qu’elle serait désormais une épouse fidèle. Or, Paul est un petit être sentimental, doux et plaintif,