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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/367

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— Pas ici ! dit-il. Nous nous rencontrerons demain, dès qu’il fera jour.

— Bien. Où ?

— Dans l’île de l’Amitié, Léo.

— Bon. Dans l’île de l’Amitié… »


C’était le lieu très cher où ils avaient vécu les meilleures heures de leur enfance. Léo est bien décidé à ne pas se défendre. Mais il n’en aura pas l’occasion : il trouve son ami, que les émotions ont brisé, évanoui sur la neige. Il le réchauffe, il le soigne, il le ramène, après une explication que le pauvre homme a la force d’écouter, — et la noblesse de comprendre. Plus tard, Ulrich pardonne : il quitte sans haine la femme qu’il a aimée et l’ami qui l’a trompé, en donnant à celui-ci le conseil d’épouser la petite Hertha. Le drame est fini, le repentir a porté ses fruits : Léo oubliera les ruines qu’il a causées, et, dégagé de l’oppression qui pesait sur lui, consolé par une affection nouvelle de l’amitié qu’il a perdue, il retrouvera, avec le printemps qui commence, son insouciante bravoure à jouir de la vie…

Tel est, dans ses grandes lignes, ce vaste roman, dégagé des épisodes qui le ralentissent un peu plus peut-être qu’il ne serait indispensable. Si mon analyse en donne une idée exacte, l’impression qui s’en dégage doit demeurer incertaine et flottante, ce qui n’est pas nouveau dans l’œuvre de M. Sudermann. Rappelez-vous Magda : une jeune fille, cœur généreux, tête folle, esprit hardi, a quitté la maison paternelle, où elle étouffait parmi des préjugés trop étroits pour elle, sous un bat qui lui faisait mal, et qu’elle a brisé. A coup sûr, c’est là un acte insolite, qu’il convient de blâmer en principe. Mais enfin, étant donné ce qu’est Magda et ce qu’est sa famille, on ne peut s’empêcher de la comprendre, de l’excuser : elle a agi en femme vaillante, elle a fait preuve de courage et de dignité. On est donc tenté de croire un moment que l’auteur lui donne raison, et que sa pièce est un plaidoyer pour les droits de l’individu, un réquisitoire contre la famille. Cependant cette Magda, dont la fuite en soi nous est présentée comme un acte légitime, a singulièrement abusé de sa liberté une fois conquise : elle promène avec elle, à travers le monde, trop d’accompagnateurs et trop de perroquets ; avec le succès, elle est devenue une franche écervelée, ou pis que cela, peut-être. Aussi longtemps qu’on la connaît mal, on est disposé à prendre son parti contre sa famille. Quand on la connaît mieux, on change d’avis. La sévérité que lui témoignait son vieux père apparaît justifiée ; on se rappelle ce mot d’un mari qui enfermait sa femme, laquelle, une fois veuve, finit très mal : « Je