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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/372

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d’une supériorité de race, veut changer les rivalités politiques ou économiques en haines de sang et qui, par là, ne fait que rendre les guerres encore plus inexpiables. Les guerres, en effet, ne sont plus des duels entre soldats de profession dirigés par des politiques de profession, pour des motifs plus ou moins abstraits, lointains, et impersonnels : ce sont des soulèvemens de peuples entiers contre d’autres peuples, au nom d’une hostilité prétendue constitutionnelle et héréditaire. La politique offre l’écho tour à tour tragique ou comique de ces théories ; car, pour les politiciens, tout argument est bon. Il y a une douzaine d’années, des délégués albanais vinrent protester dans les cabinets d’Europe contre la cession de l’Épire au gouvernement hellénique ; leur Memorandum avait été rédigé sous l’inspiration de l’Italie, qui compte l’Albanie parmi ses provinces irredente ; on y lisait : « Pour comprendre que les Grecs et les Albanais ne peuvent vivre sous un même régime, il suffit d’examiner la structure tout à fait différente de leurs crânes : les Grecs sont brachycéphales, tandis que les Albanais sont dolichocéphales, et manquent presque complètement de la protubérance occipitale. » Cette politique soi-disant « scientifique » n’avait oublié que deux points : le premier, c’est que les Italiens sont eux-mêmes, dans l’ensemble, une nation brachycéphale ; le second, c’est que les Albanais le sont aussi, ne leur déplaise ! Mais, pour un politicien, deux bonnes erreurs font une vérité.

La psychologie peut-elle ainsi confondre la constitution physique.et mentale d’une race humaine avec le caractère acquis et progressif d’une nation ? — Problème qu’il importe d’examiner, en un temps où la civilisation semble prendre pour idéal une nouvelle barbarie. Recherchons donc quelles sont les bases anthropologiques des caractères nationaux et la part légitime qu’il faut faire aux races : nous reconnaîtrons peut-être une fois de plus que l’histoire humaine ne saurait se ramener à l’histoire naturelle.


I

Toute science en voie de formation est, comme la jeunesse, orgueilleuse, tranchante, facile à l’enthousiasme, et précipitée dans ses conclusions. L’anthropologie et parfois même la sociologie en fournissent des exemples. Rien n’égale l’audace d’affirmations qui se fondent précisément sur les données les plus incertaines, mais nouvelles ou nouvellement étudiées. Le progrès général de l’humanité, — a dit un des dogmatiques de l’anthropologie « darwiniste », savant d’ailleurs très distingué et remueur d’idées, — exige l’extermination par le fer ou la faim, l’extinction des races