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Ils allaient pillant tout, le temps connue l’espace,
Sans regretter hier, sans penser à demain,
N’estimant rien de bon que le moment qui passe
Et dont on peut jouir quand on l’a sous la main.
Oui, ce sont mes aïeux, à moi. Car j’ai beau vivre
En France, je ne suis ni Latin ni Gaulois.
J’ai les os fins, la peau jaune, les yeux de cuivre,
Un torse d’écuyer et le mépris des lois.


Quelle ne sera pas la déception du chantre des Touraniens s’il apprend le peu de cas qu’on fait aujourd’hui des « Savoyards attardés dans leurs migrations »[1] ? Quoi qu’on en pense, il est difficile de concilier la tranquillité savoyarde, bretonne et auvergnate, avec les documens relatifs aux farouches tribus mongoliques, à leurs conquêtes et à leurs pillages. Les conquêtes elles-mêmes, d’ailleurs, ne prouvent rien. Peu de temps après Salamine, la Grèce envahit l’Asie et franchit l’Indus ; une colonie tyrienne mit l’Italie à deux doigts de sa perte ; les Vandales, que le monde ignorait, parcoururent l’Europe, menacèrent Rome et Byzance ; l’Arabie fut sur le point d’inonder l’Europe. Voilà des races de toutes sortes, avec des crânes de toutes formes, qui ont toutes fait la guerre et remporté les mêmes victoires. Rien n’est aussi banal que d’être vainqueur, sinon d’être vaincu.

La difficulté essentielle de la théorie qui fait venir les Aryens des contrées du Nord, c’est d’expliquer la civilisation aryenne. A coup sûr, cette civilisation n’a pas pu naître en Scandinavie, ni en Germanie, ni en Sibérie : il est naturel que les premières civilisations se soient développées dans des contrées plus chaudes et plus clémentes à l’homme. De fait, ce sont toujours des barbares qui sont venus du Nord. Pour tourner la difficulté, il faut donc admettre que ce furent précisément les Celto-Slaves, accourus d’Asie, qui apportèrent la civilisation aux dolicho-blonds du Nord-Ouest. Mais alors, comment les Celto-Slaves sont-ils si méprisables ? Et d’autre part, s’ils étaient Touraniens et nomades, comment ont-ils pu être à ce point civilisés ? La question revient toujours : Qui a commencé la civilisation ? Et rien n’est moins probable, encore une fois, que d’attribuer ce commencement aux sauvages hyperboréens dont les hordes devaient plus tard terrifier l’Empire romain et grec. On voit dans quelle perplexité nous laissent toutes ces histoires avant l’histoire.

Quant à l’effrayant tableau qu’on nous fait de la lutte intestine, préparée par la forme des crânes, entre l’Homo Europœus et l’Homo Alpinus, c’est un pur rêve d’anthropologiste. L’absorption

  1. Kossuth, lui, avait l’aspect d’un Hun et s’en vantait. Y avait-il bien de quoi !