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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/416

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ville de Genève, le terrain était favorable : un accueil empressé attendait les messagers qui apportaient nue manière toute nouvelle de comprendre le vieil Evangile.

Les pasteurs de la contrée eurent aussitôt l’œil sur eux, et la gendarmerie ecclésiastique fut mise sur pied. Le Consistoire de Genève, en particulier, ne perdait pas de vue un seul jour ces groupes de piétistes, qui tantôt se tenaient sur la réserve et se gardaient de faire parler d’eux, tantôt se laissaient aller au succès de leurs assemblées, et éveillaient alors l’attention du public et de l’autorité. Celle-ci passait au crible chacune de leurs allées et venues et leurs rassemblemens, multipliant les visites et les inquisitions. Un cordon de vigilance entourait perpétuellement les piétistes ; aucun de leurs mouvemens n’échappait à la surveillance qu’exerçait la population unanime. Les registres de l’époque nous ont conservé le jugement que portaient sur eux les chefs expérimentés de l’Eglise protestante ; ce témoignage véridique est en même temps judicieux : les piétistes étaient des hommes souvent inoffensifs ; ils ont, pu faire du bien à beaucoup d’âmes ; ils en ont égaré quelques-unes.

Dans les cités suisses, l’Etat protestant, ayant à quelques égards des pouvoirs d’évêque, se préoccupait de ces nouveautés, et suivait d’un regard soupçonneux les agissemens de ces hommes qui troublaient la quiétude des paroisses. Le gouvernement bernois, notamment, nomma en août 1698 des commissaires chargés de faire une enquête, à la suite de laquelle, au mois de juin 1699, des sentences de destitution et d’exil furent portées contre certains pasteurs, et des laïques même. Mais la perte des places ne rompait pas les liens établis entre les chefs et les membres de la secte ; l’exil amenait des déplacemens favorables à la création de nouveaux foyers d’activité et d’enthousiasme ; le jeune clergé fournissait incessamment de nouvelles recrues au parti, une correspondance active unissait tous ceux qui s’appelaient frères ; une politique habile à tourner les difficultés leur devenait bientôt familière ; le mystère, et les apparences d’une persécution qui était toujours bénigne en définitive, constituaient des attraits qui attiraient à eux des prosélytes. Pendant les trente premières années du siècle, le petit troupeau mystique, épars çà et là dans la Suisse protestante, fit briller autour de lui la foi qui l’animait.

Mme de Warens était née à Vevey ; cette petite ville, gracieusement assise au bord du lac Léman, était un des centres de cette sourde agitation. Au milieu des cercles piétistes qui se réunissaient dans quelques maisons de la ville et dans quelques