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au sein des églises du canton de Vaud, nous représentent très bien ce qu’a été Magny. Il n’en diffère qu’en deux points seulement : il avait pour l’autorité civile un respect qui n’est pas de notre siècle, et c’est en Allemagne, non pas en Angleterre, qu’il trouvait les guides de sa pensée. Dans sa retraite, il recueillait comme une abeille tout le suc de la dévotion germanique ; il nourrissait sa piété de tout ce qu’il trouvait de meilleur dans les ouvrages de la théologie allemande ; il était un de ces hommes comme l’Église chrétienne en a possédé beaucoup, qui ont passé ignorés du monde, et qui ont été en leur temps les plus instruits et les plus cultivés de leur pays.

Ce vieillard vénérable dont la parole persuasive charmait les âmes, ce prêcheur qui avait le secret d’attirer les cœurs à lui. Mme de Warens l’avait vu de tout temps dans le cercle de sa famille. À la maison paternelle ou chez ses tantes, petite fille, elle avait levé sur ses cheveux blancs de respectueux regards ; jeune demoiselle, elle avait été sa pupille, sa pensionnaire ; maintes fois, elle l’avait entendu développer ses idées ; dans la célébration du culte domestique, il avait souvent prié Dieu devant elle. Après son mariage, et pendant plus de dix ans, ils restèrent éloignés l’un de l’autre, mais ils correspondaient ensemble. Les liaisons nouées aux premiers temps de la vie se ressoudent après les séparations avec une facilité extrême ; l’intimité se rétablit en un jour. Jusqu’à la fin, Magny demeura attaché à Mme de Warens. Après sa fuite, elle n’eut pas dans son pays natal de plus familier confident ni d’ami plus fidèle.

Ainsi Mme de Warens, pendant toute sa jeunesse, a connu de très près un chrétien éminent, et a été initiée par lui à tout ce que la religion a de plus pénétrant et de plus profond. C’est pour cela que plus tard elle se trouva préparée, elle fut à la hauteur d’un rôle qui demandait une âme religieusement cultivée, quand elle fut appelée à consoler le jeune Rousseau, qui était malade et se croyait mourant, quand elle dut lui servir de compagne dans la recherche inquiète de la foi sur laquelle il voulait s’appuyer. Elle reprit alors, en causant avec un convalescent, dans un riant vallon de Savoie, les sérieux entretiens où elle avait entendu autrefois ses tantes et Magny traiter devant elle les plus hauts sujets, sur la galerie de la petite maison du Basset, où s’étaient écoulés tant de jours heureux et calmes, en face de son beau lac.